Ludovic Degroote : marche forcée

Ludovic Degroote trouve sur la digue un territoire d’élection : « Pas de sens pour faire la digue, on commence n’importe où, pas de fin, on en fait des bouts, des pans, tout y paraît sans histoire, sans mémoire, disloqué comme les choses sont en nous, avec de grands pans de vide séparés comme des digues. » Comme le poète le précise le grand vide extérieur renvoie à des paysages intérieurs qu’il précise un peu plus loin : « la digue on la fait hors de tout, ça n’est qu’au-dedans que les choses apparaissent, par pans, par bouts, et c’est de là qu’on les croit isolées, alors que les espaces ne sont disloqués qu’en nous. » Dans cette quadrature l’auteur délimite donc une marche physique et mentale La poésie devient moins la réalisation d'un possible qu’une « creux-ation » au sein d’un lieu lourd d’écume et de sel avec du ciel un peu, des ombres, des bouts de tien.

Nulle épiphanie en cette poésie, puisque le texte comme l’être est sans avenir et fait écho à ce que Beckett écrit dans « Mirlitonnades » : « rien nul / n'aura été / pour rien / tant été /rien ». Les mots ne peuvent plus se gonfler de valeur. Demeurent des fragments minimaux pris à porte-à-faux dans un mouvement qui met en déroute toutes les virtualités au service de la présence. Le monde est celui du doute, de l'impossible où le "comment c'est" et le "comment dire" demeurent des questions sans réponses.

Le langage ne peut plus rien affirmer sinon qu’il n’est pas question d’envisager un ailleurs. Et Degroote refuse la fausse image allusive qui renverrait à une perception, à une pensée ou à une rêverie qu'elle se contenterait de ramasser, de fixer au sens photographique du terme. « La digue » fabrique du sens particulier : celui des abîmes de la conscience qui ronge inexorablement le discours rationnel. Sans cesse renvoyant au-delà d'elle-même elle élabore une réalité autre que celle que le langage est habituellement censé représenter. Les repères disparaissent. Seul persiste encore un mouvement de va et vient qui ne connaîtra jamais de but. Demeure la marche ou plutôt l’errance forcée. Elle souligne un chaos intérieur qui n’a pas de fin.

Jean-Paul Gavard-Perret

Ludovic Degroote, La Digue, éditions Unes, Réédition, 1995-2017, Nice.

 

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