Florence Daudé - Mémoire de l’eau

Florence Daudé crée  des lieux qui deviennent l'expérience d'un équilibre entre deux abîmes ou éléments fondamentaux : le ciel et l’eau, le vide et la densité. L'équilibre entre ces deux "masses" provoque  une expérience rare. Celle d’un temps paradoxal où le rien laisse place à une surface faite de presque rien   où la lumière apparaît afin de surgir autrement : de manière tactile. L'artiste crée des lieux qui conjuguent l'extériorité d'un pan lumineux (par effet de miroir) et le repli.
Elle lie sans cesse l'ouvert et le retrait.

Ce caractère duplice est constant dans ce livre. Il évoque le pouvoir de la photographie à ouvrir des contrées inaperçues. L'acte de délimiter l'espace revient à porter à découvert ce que le l’eau à la fois contient et renvoi par effet de miroir. Se rejoignent l’infime et la libre vastitude. Alors on se souvient qu'être sur terre veut dire être sous le ciel. Et il n'est plus besoin de diviniser les astres pour éprouver en nous cette contrainte à notre station terrestre...

Le soleil embrase et embrasse tout : il n'existe ni lieu, ni vide : mais la fluidité des instants qui ne retiennent rien mais que Florence Daudé arrête. En se portant en "bas", au "fond", elle épouse d'autres lois physiques, d'autres couleurs. Les photographies constituent les réceptacles de cette couleur non maîtrisable du ciel. Elles nous obligent à renverser certaines conditions habituelles du regard porté tant sur la nature que sur ce que nous nommons œuvre d'art.
Ce que nous regardons en une plongée, n'est plus ce que nous surplombons manifestement, mais ce qui se trouve à une distance énorme.

Le détail des pierres, l'intimité de leur texture explosent en une qui dilatation n'est pas de notre fait, ni celui de l'artiste : le ciel en décide lui-même à sa manière. Il n'est plus le fond neutre des choses à voir mais le champ actif d'une imprévisible expérience visuelle lorsqu’il tombe dans l’eau. Le ciel n'est plus seulement "au-dessus" mais là, exactement, présent parce que changeant sur le fond qui le porte. Il oblige à remonter à sa rencontre. Ce n'est plus le cadre des choses à voir en tant que cerne ambiant : il est là exactement, central, par le réceptacle que Florence Daudé a choisi pour lui.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Florence Daudé et Philippe Thireau, Soleil se mire dans l’eau, Z4 éditions, 2018.

 

 

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