Souvent les textes de Lambersy se veulent des chants. Ils courent donc le risque du lyrisme. Le poète tente de le couper en choisissant habituellement le vers court ou cassé en plusieurs fragments et des sections proches de l’aphorisme. Si bien que l'épanchement est remplacé par autre type de production de sens.

Néanmoins demeure toujours dans leur "comment dire" explicite un "comment ne pas dire" implicite eu égard à la limite de notre "machine". A savoir notre corps lui-même qui refuse à l'inconscient les sorties de sa réserve.

Dès lors qu'un poète tel que Lambersy se livre au scalpel de son interviewer est capital. D'autant que ce dernier n'est pas n'importe qui. Bouret est psychanalyste et il sait ce que les mots font et ne font pas bref tout ce que leur "ça" cache ou saccage.

Le livre est passionnant. Il ne s'agit pas pour autant de passer de Charybde en Scylla mais de faire non seulement jaillir ce que Lamversy nomme "le vieux sperme des mots" mais leur ombre portée.

Si bien qu'à lire cet entretien se comprend combien Lambersy appartient  aux poètes belges irréguliers de la langue (les Picqueray, Miguel, Balthazar, Koenig Jacqmin et bien sûr Michaux). Ici le poète quitte les routes de la pensée et - à son corps défendant peut-être - se retrouve en partie dans les fossés de langage.

Preuve que Bouret fait bien le travail. Lambersy y interroge le langage poétique sans se refuser aux obstacles. Le poète belge croit toujours en la poésie mais sans faire confiance à sa description critique. Bouret l'incite à une remise en cause et l'oblige à repenser ce qu'Adorno appelait le poématique (c'est-à-dire ce qu'il y a de poéticité dans un texte poétique) au moment où son dire affirme qu'aucun outillage verbal discursif ne dit avec justesse la singularité de l’expérience que chacun de nous fait du monde.

Jean-Paul Gavard-Perret

Werner Lambersy et Philippe Bouret, Ligne de fond, coll. Le psychanalyste dans la cité, La rumeur libre éditions, septembre, 2019, 270 p.-, 19 euros