Lucienne Desnoues : Noël des Nourritures Célestes

L'art d'écrire, chez Lucienne, n'est pas délimité aux poèmes ; pas plus qu'en sa vie la poésie ne se limitait, non plus, loin de là, à l'écriture.
Mais que ce soit sous une forme ou sous une autre, c'est toujours un fin et haut plaisir fortifiant pour l'esprit, un levain pour l'âme, que de la lire.
Dans ses lettres – ses épistoles, comme elle aimait tant à dire, fidèle d'entre les fidèles aux saveurs du vieux français – nous assistons en quelque sorte en direct à son écriture puisqu'elle s'y livre spontanément sans repentirs suivant ce qu'elle a à dire.
Celles-ci éclairant, certes, son art d'écrire, parfois même l'illuminent en même temps que sa pensée, et jusqu'à son art de vivre, de grand cœur, au quotidien.

Mais Noël approche et il s'agit bien là d'un de ses sujets sacrés – c'est doublement le cas de le dire – auquel, y excellant sans discontinuer, elle est rituellement revenue chaque année, y ressourçant son art d'écrire en virtuose.
C'est son beau-père Norge qui un beau jour – Noël étant libre de droits, n'est-ce pas ! – en avait, avec bonheur, adopté le thème. Après quoi, puisque s'en trouvant aussitôt elle-même fort inspirée, plus qu'à son aise, Lucienne se mit donc sans-façon, à lui emboiter la plume ; prenant ainsi plaisir à quantité de Noëls en vers, mais pas très conventionnels, (Noël de l’ordinateur, du peintre, de la mante religieuse, par exemple) et en prose aussi  – alors plus conformes à la tradition en contes proches cousins de la nouvelle – dont, jusque-là, seulement une douzaine ont été rassemblés en volume – en 1980, chez son proche ami éditeur Jacques Antoine – sous une illustration de Francine Leuridan et un alexandrin pour titre qui leur va à ravir : L’orgue sauvage et autres contes de Noël ; la quatrième de couverture en caractérisant fidèlement l'esprit : La technique a beau chercher à supplanter la poésie, nous avons besoin d’un merveilleux moins affolant, plus chaud, plus sacré que celui de la science-fiction et de l’anticipation.

Lucienne Desnoues, le poète de
La Fraîche, Les Ors, La Plume d’oie, qui a su transfigurer en prose dans un livre à grand succès - Toute la pomme de terre - le plus matériel des sujets, s’est plu aussi à réveiller, à renouveler un genre littéraire lié au familier comme au liturgique : le conte de Noël.

Hautes en couleur, en saveur, en musique, ces douze histoires font le lecteur se délecter d’un style, d’une imagination par lesquels il se sent passer sans heurt, avec délice, et comme naturellement, du naturel dans le surnaturel.

Il est maintenant grand temps pour moi de céder ici la place et la plume à celle qui hélas paraît-il n’est plus tout en restant pourtant si présente et qui, en cet inédit Noël des Nourritures Célestes, lance un malicieux clin d’œil en direction du beau pays sec où trois mois durant la cigale forte gratte ses rebecs :

Tant que dura leur séjour dans l’Étable,
Marie et Saint Joseph eurent pour marmitons
Des anges ! Vous songez : "Ce fut donc délectable ! 
Adieu ragotons de mouton, croûtons,
Et salut noisettes d’agneau, miches surfines !"
Hé non ! Les séraphins, les séraphines,
Préposés aux fourneaux du Ciel
Ont devoir de nourrir le Souffle Essentiel
Mais point de réjouir les papilles humaines.
Dès l’aurore de la semaine,
L’humble et glorieux couple eut donc à déguster
D’évangéliques ambroisies,
Des sorbets d’infini, des flans d’éternité,
Et le jus des vertus suprêmement choisies
Dans le Verger d’où le péché nous fit jeter.

Après quelques repas, tant de suavité
Pour notre Charpentier devint amère.
Il se surprit à regretter
Les bonnes chaudes grosses soupes de sa mère,
Et tandis qu’il se désolait,
Les yeux de la Madone s’assombrissent.
"Joseph, n’oublions pas de qui je suis nourrice.
Ce régime ineffable est conçu pour mon lait."
"Bien sûr, dit-il, ces mets sont au Divin Programme,
Mais je ne pourrai plus en avaler un gramme."
Et l’air mélancolique, un tantinet chafouin,
Il regardait l’âne et le bœuf mâcher leur foin,
Se régaler de la pitance coutumière.
L’archange maître queux vit luire une lumière
D’imperceptible jalousie en l’œil du saint :
" C’est vrai, lui n’a pas à donner le sein,
Pourquoi le priver de ses joies,
De son potage qui verdoie ou qui rougeoie
Selon tomates ou cresson ?
Allons, mitrons ailés, épluchons, écossons.
Élaborons, pour que la grâce en lui renaisse,
Souper meilleur que les meilleurs de sa jeunesse."

Rien d’impossible aux cuisines du Paradis.
Le lendemain même, à midi,
Vers Joseph un parfum miraculeux s’avance.
Onctueuse vapeur de tendres connivences,
Entre saveurs et sucs cherchés on ne sait où,
Dans les jardins simplets, dans l’avenir, partout,
L’âme intense d’une herbe ensorcelant le tout.

Ainsi donc, bien avant, bien avant la Provence,
Le Ciel mitonna la soupe au pistou.

 

André Lombard

Lucienne Desnoues, L'Orgue sauvage et autres contes de Noël, éditions Jacques Antoine, 1980, 165 p.-
 

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