Lydie Planas et la "décréation"

À perte de mots Lydie Planas nous convoque au silence de son être qui n'a pas encore vu le jour. En conséquence il ne peut, même s'il en conserve la tentation, ni imaginer un monde, ni faire surgir une présence, si ce n'est son ersatz, son pis-aller pour éviter de trop souffrir de l'absence de sa réalité.

Et la créatrice de déchirer les images, de marquer ses vêtements sinon c'est un autre que je porterai / ou qui s'habillera de moi.  C'est tout de que l'écriture peut. Car elle  ne permet pas de voir. Et ce, comme s'il n'y avait rien à contempler. Son miroir ne reflète rien. Sinon la douleur insécable du destin d'une femme qui ne peut se dire.

Cet empêchement tragique entraîne vers l'un des problèmes majeurs soulevés par la défiguration organisée de Lydie Planas. Existe un affaissement de l'ordre de la coupure existentielle là où l'impossibilité de l'image renvoie à une absence à soi dans le temps.

La poétesse explore la limite où l'être ne peut  plus croire rester encore ce qu'il espérerait. Il touche la frontière à partir de laquelle il est déporté-fixé fatalement – soumis à une autre présence qui s'empare de lui pour le manger. D'où cette tentative "anthropophage" afin de sauver ce qui peut résister dans un recroquevillement où faute de mieux il faut nommer les gestes carnivores.

Je, depuis m'autopsie, écrit Lydie Plans dans l'obsédante évocation des rien re pas. Ils désignent le naufrage face à l'affect innommable, à l'enfer abyssal de l'existence vidée de son corps "hanté de trous" et bâillonné. De tels aveux deviennent l'écho du je n'ai plus de bouche, plus de visage d'un des derniers héros de Beckett.

Et d'une certaine manière l'écriture semble se perdre parce que l'être lui-même est introuvable.  Il n'est mort que vivant. Si bien que l'auteure ne cesse de le biffer, d'en faire table rase. C'est comme si elle-même n'avait jamais existé, n'avait jamais pu exister. Lydie Planas donne en conséquence une nouvelle signification à la fameuse injonction chrétienne : media vita morte sumus.  Il ne s'agit toutefois pas d'articuler la mort dans la vie mais la vie dans la mort, puisque la première n'a jamais commencé.

L'auteure se retrouve comme non engendrée (ou trop mal) et reste à l'état de fantôme dont le souffle possède l'odeur des cendres. De ce moi empêché émerge néanmoins une émotion proche de la commotion, avec ce recours à une souffrance qui n'a plus de nom mais qui se fonde, depuis l'origine, autour d'un point de fixation. Lydie Planas y reste fixée mais découvre néanmoins dans les mots de quoi sur-vivre. Leur seule expression littéraire ne peut – à cette extrémité – se réaliser que par la poésie et son fantastique pouvoir de création comme de décréation.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Lydie Planas, Je m'en/ventre, Éditions Furtives, Besançon, janvier 2021

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