Christophe Esnault (et les autres) sous Xanax

Poète rare, Christophe Esnault – toujours influencé par les oeuvres d'Antonin Artaud, Sarah Kane (et son sublime 4.48 Psychose) – plonge ici dans ce qui cause sa chute et – mais par une force peu commune – sa rédemption.

Ici un "qui veut faire l'ange fait la bête" renvoie à un "qui veut faire le fou devient un sage". L'auteur dans ce but  propose un long poème activiste. Il retrace son emprise contre la dysphorie et l'angoisse tout comme son combat face aux mâchoires psychiatriques et chimiques.
Le texte se veut un appel aux praticiens de l'inconscient au nom de ceux qui sous couverture psychique des neuroleptiques sont plus victimes des soins prodigués que de leur propre pathologie.

Se découvre – entre autres – la biographie de l'auteur mise au service du plus grand nombre. Et si souvent il faut se méfier des dires du poètes dans certains de ses livres impressionnants (Poète Né, éditions Conspiration et Ville ou jouir et autres textes navrants,  éditions Louise Bottu), il affirme ici de manière plus rationnelle le danger de la pharmacopée inhérente au pouvoir de neurologues et psychiatres moins écouteurs  qu'auditeur.

Les digressions farcesques chères à l'auteur sont ici plus rares : Il m'arrive d'avoir besoin de beaucoup de temps / pour trouver une forme qui m'autorise l'humour précise-t-il avant de barrer (tout en la laissant) visible une telle insertion.
Néanmoins se moquant de son propre état, celui qui n'a jamais été capable d'assembler les trois pièces d'un Kinder surprise, se met en état de prendre en charge des vies cadenassées . Le poème se veut et est engagé. Pour une bonne cause. 

Toutefois Esnault y perd une partie de sa verve même s'il existe un judicieux besoin de prescrire une ordonnance aux psychiatres. L'idée est louable et juste. Mais le texte est surtout puissant quand, laissant de côté le combat, le poète donne libre cours à l'expression de son corps et son âme pour dire le monde. Du moins, tant que les neuroleptiques puissent le permettre. Ce qui n'est pas toujours gagné. Pour les autres comme pour lui.
 

Jean-Paul Gavard-Perret


Christophe  Esnault, Lettre au recours chimique, coll. Freaks, éditions Aethalidès, Lyon, février 2021, 112 p.-, 16 euros

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.