Ivar Ch'vavar : retour aux sources

Ce recueil bilingue (picard et français)  offre un choix des poèmes picards de ces 25 dernières années – même si la plus grande partie de l’œuvre a été écrite en français. Les textes réunis  présentent la rumeur de fond essentielle du poète. Il y cherche entre autres à saisir l’esprit du vieux Berck, celui des matelots, à peu près complètement disparu aujourd’hui, mais que j’ai encore connu.
Existent là des rumeurs miroirs de voix qui se sont éteintes. Et même si ces textes semblaient à l'aune de son oncle intraduisibles parce que trop abyssalement berckois s'y retrouve tout un monde sensuel et révolté où le désir se place du comble du concave à la crête du convexe.
Ch’Vavar préfère évidemment la version première et picarde de ces textes – sans cela il les aurait directement écrits en français. La langue initiale est plus abrupte. Et ce qui est perdu de la jeunesse d'une jeune fille comme du babil de sa grand-mère retrouve ici une évocation pleine de sortilège qui même dans la version picarde se rapproche de nous dépoitraillée comme un turbot de quinze francs.
Le texte est autant poétique que politique, car cette langue n'a rien d'une identité fantasmée et figée. C'est pourquoi dans le titre Ch’miloé din ch’tiloé (le tiroir au miroir)  et en ce que le corpus déroule il faut y voir moins du "ch’timi" qu'un déploiement d'une langue peu à peu vampirisée par le français.  
Ses circonvolutions deviennent une invitation au voyage autant vers l'avant que vers l'après, là où à la nostalgie l'auteur préfère ce qui peut arriver encore dans et part une langue devenue une forme de "babil des classes dangereuses" - comme écrivait Christian Prigent - propre par un retour au pays natal à un ressemelage de toutes les langues d'hier, d'aujourd'hui, de demain.

Jean-Paul Gavard-Perret

Ivar Ch’Vavar, Ch’miloé din ch’tiloé, Engelaere éditions, octobre 2022, 152 p.-, 15€

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