Le baiser de la femme-araignée de Manuel Puig : scénario ou roman ?

S’il y avait un mot pour décrire cet ouvrage, ce mot serait sans doute figé. Un roman qui tient plus d’un dialogue de 300 pages que d’une narration classique ; il se présente en effet sous la forme d’une longue série de répliques anonymes au discours direct, de la première à la dernière ligne. C’est ainsi que le lecteur perdu aux premiers abords va, petit à petit, se dépêtrer d’un enchevêtrement infini de répliques, dans l’absence d’un narrateur-guide pour lui narrer les faits et les motivations des personnages. Un lieu unique : une cellule carcérale ; deux protagonistes : Molina (détenu pour détournement de mineur) et Valentin (guérillero idéaliste) ; une situation d’énonciation : la communication entre deux hommes en apparence impossible, grâce au cinéma et aux femmes. L’intercompréhension favorisée par ces deux thèmes principaux de l’œuvre suffira à établir les liens de respect et d’amour entre les deux hommes.


L’univers carcéral et le cinéma se rejoignent en cela qu’ils sont preuves de l’exclusion du réel. La fiction se fait alors quotidienne et permet la révélation d’êtres subconscients voire refoulés. Molina et Valentin vivent, se dévoilent et se libèrent par le biais de ce dialogue nocturne sur les femmes et les films.


"[...] les mots possèdent ce prodigieux pouvoir de rapprocher et de confronter ce qui, sans eux, resterait épars dans le temps des horloges et l'espace mesurable."

Claude Simon, Album d’un amateur,  Editions Remagen-Rolandseck, 1988, p. 31

 

En revanche, s’il est un point à relever, ce serait celui de la traduction proposée par Albert Bensoussan – une traduction particulière qui tend davantage à fidéliser la lettre que l’esprit et qui, par conséquent, dessert peut-être en cela le sens et la fluidité de la narration française (personnellement, les vingt premières pages m’apparurent quasi incompréhensibles tant la syntaxe française est pesante. Me serais-je habituée par la suite ? Est-ce le fait de cette traduction ou est-ce véritablement le style de l’auteur ? Je n’ai malheureusement pas eu accès à la version originale de l’œuvre, afin de pouvoir répondre à cette question. Un exemple cependant, dès la seconde phrase du livre : "Très jeune, vingt-cinq ans au plus, mais avec un peu une frimousse de chatte, un nez petit et retroussé.") Ce choix de traduction, et d’une ponctuation insistante et lourde, sont sans doute les preuves d’un désir d’explicitation du texte source.

 

Le problème de la forte inspiration cinématographique est également à relever et à souligner du fait de sa forte influence narrative au sein de ce presque "roman-script". Certains fragments tiennent davantage de la séquence cinématographique que du schéma narratif traditionnel.

Ces différents partis-pris ne sont pas sans répercussions sur la traduction proposée par Albert Bensoussan, lequel révélera de grandes prises de position, notamment au niveau de la ponctuation du roman. (-N’ayant pas eu accès au texte original mais ayant été particulièrement étonnée par l’originalité de la stylistique du traducteur, j’ai étudié l’acte de colloque de Nadine Dejong, La ponctuation appartient-elle à son auteur ou à son traducteur ? (Á travers la traduction française qu’a réalisée Albert Bensoussan de El Beso de la mujer araña de Manuel Puig), Editions Duculot, Paris, Bruxelles, 1998.)

 

Enfin, il s’agit là d’une œuvre qui peut laisser perplexe, tant par sa traduction que par l’originalité de sa constitution.

 

Elodie Blain


Manuel Puig, Le baiser de la femme-araignée, Points, octobre 2012, 338 pages, 8,70 euros.

1 commentaire

J'ai adoré le film vu il y a de nombreuses années. Reste  effectivement à lire le livre.