Chants orphiques et autres poèmes

Nouvelle traduction des Chants orphiques de Dino Campana, ce texte rare et d'une incroyable beauté qui en fit le pendant italien de Rimbaud. Mais cette édition bilingue, présentée comme inédite, voire comme "l'unique recueil d'un génie fulgurant enfin traduit", n'est que partiellement inédit et relève d'un parti pris éditorial contestable et d'une légèreté intellectuelle.

Les Chants orphiques ne sont pas inédits en Français !

A part quelques poèmes en effet inédits en français et provenant d'un recueil publié en Italie dans les années 50, plusieurs traductions existent de ces Chants orphiques, dont une précédente édition par Christophe Mileschi lui-même chez L'Âge d'Homme (1998), une par Bosc chez Allia (2006), une par Michel Sager parue chez Seghers (1977) et surtout la plus aboutie et la plus belle parue chez Via Valeriano par Claude Galli (1992), laquelle comportait d'ailleurs une vraie étude accompagnant le texte, alors que l'édition présentée chez Points souffre d'une préface étique, vaguement biographique et qui ne propose aucun chemin de lecture, ainsi que d'une absence de bibliographie (ce qui la met à l'abri des regards trop pointus...).  
Voilà pour la qualité de l'édition. Quant à la traduction elle-même, elle manque un peu de souffle par rapport à celle de Claude Galli, elle semble être celle d'un homme assis quand l'autre était celle d'un homme qui marchait et calait ses pas sur ceux de Campana lui-même... 

"Je me promène sous le cauchemar des portiques. Une goutte de lumière sanguine, puis l'ombre, puis une goutte de lumière sanguine, la douceur des ensevelis. Je disparais dans une ruelle mais depuis l'ombre sous un réverbère blanchit une ombre qui a les lèvres teintes. Ô Satan, toi qui les putes nocturnes mets au fonds des carrefours, ô toi qui depuis l'ombre montre l'infâme cadavre d'Ophélie, ô Satan prends pitié de ma longue misère !"

Dino Campana, poète interné

Grand marcheur et grand voyageur, Dino Campana (1885-1932) quitte l'Italie pour l'Argentine puis Anvers où il est arrêté et contraint par la justice à rentrer chez ses parents. Mais sa vie ne sera qu'une suite de fugues, de marches et d'émotions poétiques (un de ses aspects rimbaldiens). Dès 1912 il publie ses premiers textes en revue, puis cette fulgurance que sont les Canti Orfici en 1914. Après une passion amoureuse avec la poétesse et romancière Sibilla Aleramo (1876-1960), il subit une nouvelle crise de démence et finit ses jours interné.
Grand marcheur, vagabond sublime, Dino Campana met dans ses poèmes (qui alternent la rime et la prose) toute la violence de sa relation au monde, la beauté des découvertes et l'âpreté d'une confrontation directe au monde, dans un lyrisme rare.
Mais les Chants orphiques sont aussi un immense chant à la gloire de l'errance, du voyage, de l'aventure, exaltation de la poésie du voyage et du voyage lui-même, qu'il soit réel ou fantasmé. Chaque étape est l'occasion d'une description poétique, et nous "visitons" avec Campana Bologne, Florence, Gêne...

On regardera cette édition "par défaut", pour l'accessibilité du texte et les quelques inédits. 

Loïc Di Stefano

Dino Campana, Chants orphiques et autres poèmes, poèmes choisis et traduits de l'Italien par Irène Gayraud et Christophe Mileschi, Points, juin 2016, 320 pages, 11,20 eur
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