Morphine monojet

 

A la fin de Fasciste, livre-talisman, Thierry Marignac cède la parole à l’un de ces enfants perdus au crépuscule qui hantent son roman : « Je suis un décadent au fond, prêt à renoncer à l’ambition et au reste pour me gorger de plaisirs. Mais aujourd’hui, choisir les plaisirs, c’est choisir la mort ».

Morphine monojet illustre à merveille cette sentence en ce sens que ce roman déjanté et cruel, d’une drôlerie certaine, met en scène un quatuor composé, pour faire simple, de trois mousquetaires et d’une milady au chien d’enfer, lasse et presque belle : à ses basques, trois fils perdus – c’est le sous-titre du roman – en quête non d’un Graal de Bretagne mais d’une héroïne de Thaïlande ou de Turquie, coupée à l’infini, trafiquée dans de minuscules paquets qui s’échangent dans les bouges de Belleville. Il s’agit bien de cette diabolique « fringale de jouissance et d’anesthésiant aux entrailles de l’époque », qui se danse sur des airs vénéneux.

Nous sommes dans le Paris de 1979, qui est encore celui du « monde d’avant » comme dirait le confrère Jérôme Leroy, un Paris d’avant les bobos et les salafistes - un autre siècle. Un ashkénaze suicidaire, un fils perdu vaguement arménien (donc commis aux négociations) et Fernand, le Gaulois de la bande, bâtard sans famille, composent le trio des toxicos, obsédés par le brown sugar qu’ils s’injectent en faisant fi du plus élémentaire principe de précaution. Trois épaves en manque, qui tombent sur Jackie, fille d’une sorte d’espion britanique et d’une princesse d’Oman - qui, elle, joue avec la drogue et s’en sortira. Le vol, dans le somptueux appartement d’icelle, par l’un des futurs trimards, d’une seringue intacte datant de la guerre (celle de Dunkerque - Omaha Beach) emplie de morphine pure, lance tout ce petit monde dans une course poursuite absurde, quasi picaresque. Thierry Marignac s’amuse, et nous aussi, dans ce city movie enlevé, rapide - du nerf, de la gouaille sans chiqué, pas une once de gras. Hymne à la nuit, éloge tout en pudeur de l’amitié, requiem de l’Amour, Morphine monojet nous confirme que l’auteur de polars aussi originaux que Milieu hostile et Renegade Boxing Club a, de haute lutte, conquis sa place d’orfèvre par la grâce d’une langue drue et d’un œil de lynx.

 

Christopher Gérard

 

Thierry Marignac, Morphine monojet, ou Les Fils perdus, Le Rocher, 15,90€

Lire aussi, du même, Fasciste (Hélios noir), Renegade Boxing Club (Série noire) et Milieu hostile (Baleine).


Chronique provenant du blog littéraire de Christopher Gérard :

http://archaion.hautetfort.com/

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