Le Siamois de Brest, de Michel Renouard : Un polar aussi drôle que foisonnant

Les romans policiers de Michel Renouard sont bien plus que de simples polars. Des concentrés d’humour et d’érudition. D’observation narquoise des mœurs de notre temps qui débouche sur la satire, parfois corrosive, de milieux bien connus de l’auteur. Ainsi celui de l’Education nationale, généreusement brocardé. D’une manière plus générale, notre civilisation en pleine dérive. Non seulement l’intrigue en est soigneusement ficelée, comme l’exige la loi du genre, mais tous ces romans développent des harmoniques dans des domaines divers, la géographie, la linguistique, les langues anciennes, la politique, les trésors de notre patrimoine ou ceux de l’Extrême-Orient. Sans parler des nombreux clins d’œil et allusions, le plus souvent à des œuvres littéraires, à l’usage non du Dauphin, mais des lecteurs cultivés. Autant de pseudopodes poussés vers des contrées et des domaines qui en font de véritables polypiers – dans le sens d’Hippolyte Taine qui, comme on sait, définissait l’esprit comme un polypier d’images.

 

Le Siamois de Brest ne fait pas exception. On s’y retrouve en pays de connaissance, en l’occurrence cette Bretagne chère à l’auteur. Lequel ne nous laisse rien ignorer de Brest, de sa topographie et de son histoire, de ses monuments, de ses rues – la rue de Siam, bien sûr, connue grâce à Jacques Prévert –, jusqu’à des artères et des places moins célèbres mais familières aux autochtones. Surtout, le lecteur est plongé au milieu de personnages récurrents qui lui sont comme de vieilles connaissances, pour peu qu’il ait lu les romans précédents, Terminus Montparnasse (2006), Le Broyé du Poitou (209), L’Abbé de la Baie (2011), publiés chez le même éditeur.

 

Au premier rang de ceux-ci, Achille Corneille, patron du commissariat de police de l’impasse de la Gaîté, à Paris. Rendu célèbre par la résolution de plusieurs intrigues, dont l’identification du « Boucher d’Odessa », envoyé en mission secrète par les plus hautes instances policières et politiques, c’est lui qui, une fois encore, démêlera les fils d’une énigme passablement embrouillée.

 

Autour de lui, gravitent ceux que l’on pourrait qualifier d’habitués, tant ils reviennent d’épisode en épisode. Ainsi le Professeur émérite des universités Pierre Bouchemaine, agrégé d’allemand, spécialiste de l’Inde, retiré à Brest alors que, coïncidence heureuse, s’ouvre dans cette ville un congrès consacré au sanscrit. Une langue qu’affectionne aussi le vieil abbé toujours vert Alexis Le Roux, ancien professeur de lettres, aumônier à mi-temps chez les sœurs des Très Saints Stigmates, arrivé pour la circonstance depuis Poitiers. D’autres font leur première apparition, natifs de la région ou transplantés de plus ou moins fraîche date, comme les frères jumeaux Vermeulen, venus de leur Belgique natale, Ata, dit Atta Turk, et Rax, que le port assidu du kilt a fait surnommer Cornemuse. Ils exploitent chacun un bar, l’un L’Aucassin, l’autre La Nicolette. Cette référence à la chantefable du douzième ou treizième siècle montre assez que nous avons affaire à des lettrés, C’est souvent le cas parmi les personnages de Renouard qui cultivent une ambivalence des plus réjouissantes.

 

On n’aura garde d’oublier Fou-Phoun Li. Né en Thaïlande homme d’affaires d’un genre spécial reconverti en bouquiniste rue de la Gaîté, polyglotte, il est, accessoirement, l’ami et l’indic du commissaire Corneille qu’il a aidé lors de précédentes enquêtes. Et puis une sœur tourière, infirmière délurée, sœur Pétronille, qui participera, volens nolens, à l’élucidation de l’affaire. Une affaire nébuleuse à laquelle sont mêlés des espions indiens et chinois et qui pourrait mettre en péril l’équilibre géopolitique de la planète.

 

On se gardera, bien entendu, de dévoiler le pot aux roses – en l’occurrence, un vase chinois Ming de grande valeur, convoité par des diplomates de divers pays. Il faut savoir que tout commence avec l’assassinat de Lorenzo Bong-Bu, né à Lama (Haute-Corse), fils du Tibéto-Thaïlandais Popo Bong-Bu et de la Franco-Indienne  Ruth Frittoli, étudiant en anglais et en chinois à la faculté des lettres de Brest. La généalogie de la victime laisse déjà présager de la complication des événements. Lesquels se jouent allègrement du temps et de l’espace. Etablissent des passerelles entre le XVIIe siècle, qui vit des ambassadeurs du Siam à la cour de Louis XIV, et la période contemporaine.    Font intervenir la réincarnation chère aux Bouddhistes. Imbroglios, fausses pistes. L’action se déplace sans cesse de la Cité du Ponant et de son tonnerre légendaire aux solitudes glacées de l’Himalaya. Le lecteur est transporté – dans tous les sens du terme. Et attend avec impatience les nouvelles aventures d’un policier décidément très attachant.

 

Jacques Aboucaya

 

Michel Renouard, Le Siamois de Brest, Editions du 28 août-Gisserot, décembre 2015, 192 p., 7 €.

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