Crimes à l'affiche

CRIMES A L'AFFICHECoup de théâtre

Joséphine Tey, petite institutrice écossaise, est aussi l’auteur de la pièce qui fait fureur dans le West End londonien en cette année 1934 : Richard de Bordeaux. Obligée de venir à Londres pour régler les détails de la tournée de la pièce, Joséphine quitte à regret son village d’Iverness et sa tranquillité. La rencontre de la jeune Elspeth Simmons, qui partage le même compartiment de train, égaye son voyage vers la capitale. La jeune femme est ce que l’on appellerait aujourd’hui une fan inconditionnelle de l’auteur et de sa pièce. Joséphine ne se doute pas qu’elle est la dernière personne à voir Elspeth vivante : cette dernière est retrouvée poignardée au beau milieu d’une mise en scène macabre reliant le meurtre à Richard de Bordeaux. L’inspecteur Archie Penrose, ami de longue date de Joséphine Tey, mène l’enquête dans le milieu du théâtre qui est rempli de rancœurs, d’inimitiés et de non-dit. Les suspects sont nombreux et la toile se tisse sur fond de traumatisme de la Grande Guerre.

Tout le monde avait perdu un être cher…

Le contexte de ce romain policier est celui de l’après 14-18 : malgré les seize années qui se sont écoulées, le traumatisme de cette guerre comme on en avait jamais connu, persiste dans la société. Chaque britannique a été marqué par la perte d’un proche, par la vision des gueules cassées ou le récit de ces batailles terribles pour gagner quelques centaines de mètres. La société britannique, comme celle des autres pays ayant participé à la guerre, à été brutalisée par cette expérience. George L. Mosse (1) s’est interrogé sur l’origine de la brutalité caractérisant nombre de sociétés dans l’entre deux guerres. Le mythe de la guerre s’était développé au XIXe siècle et la 1ere guerre mondiale, grande nouveauté autant par sa dimension que par sa violence, a rendu possible la « mort de masse ». Cette nouvelle dimension, cette intensité, a permis la naissance d’une sorte de religion civique où foi et nation se sont confondues, où la mort pour la sainte patrie était à la fois sacrée et banalisée. George L. Mosse note toutefois que cette réaction n’a pas été identique dans tous les pays européens : elle a été particulièrement forte dans les pays vaincu comme l’Allemagne où elle a fait le lit des mouvements d’extrême droite. En Angleterre ou encore en France, cette réaction a été contrebalancée par le fort courant pacifiste. Toujours est-il que ce roman est teinté de ces aspects de la culture de guerre qui a marqué les protagonistes de ce roman.

En abîme

La véritable originalité de ces crimes à l’affiche tient à la personne et non au personnage de Joséphine Tey. Car si il s’agit bien ici d’une œuvre de fiction, Joséphine Tey est un des pseudonyme utilisés par Elizabeth Mackintosh (1896-1952), originaire d’Iverness, et qui fut l’auteur de la pièce Richard de Bordeaux qui l’a rendue célèbre. Cette pièce, succès phénoménale pour l’époque, fut interprétée quatre cent soixante trois fois au New Theatre de St’ Martin Lane et dont la dernière eu lieu le 24 mars 1934, comme il est mentionné dans ce roman. Il ne fut pas rare que certaines personnes la voient 30 ou 40 fois, des poupées commémoratives étant fabriquées à l’effigie des personnages. Nicola Upson mélange ainsi fiction mais aussi réalité en s’inspirant de la vie de la vraie Joséphine Tey et de la personnalité qui ressort de son œuvre. Ainsi l’inspecteur Archie Penrose est-il le modèle ayant servi pour le personnage d’Alan Grant. Le mélange de fiction et de réalité renforce donc l'intérêt de ce polar.


Julie Lecanu


(1) Georges L. Mosse, De la Grande guerre au totalitarisme - La brutalisation des sociétés européennes, Hachette, 1999.

Nicola Upson,  Crimes à l'affiche, 10/18, «Grands détectives», avril 2009, 412 pages, 8,60 €.

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