Le Lac des singes, polar jazzy

Mister est appelé par son ami, Baptiste Zanini, dit le Gros, pour remplacer au pied levé le pianiste de son groupe et finir la saison au casino d’Evian. Un plan d’enfer, du jazz facile pour détendre les curistes entre deux tours de roulettes. Des vacances… 

Manque de chance pour Mister, dès son arrivée il apprend qu’un tueur en série sévit depuis cinq mois sur Evian, ne tue que les gagnants du casino, d’une balle en pleine tête, sans témoin ni vol, sans autre mobile apparent que faire un carton sur un nouveau riche. La vie continue, les soirées se succèdent, les sessions jazz aussi, et les autres spectacles, notamment celui d’un magicien ringard jusqu’au moment où il hypnotise un spectateur au point de lui faire faire le chien et la roulette russe.

Le tueur, animé par une motivation assez déroutante, a laissé pléthore d'enregistrements, qui permettent de mieux le comprendre, d'entrer dans ses délires de puissance et de domination, mais aussi de lire sa détresse que seul la mort peut apaiser. Sans haine, juste accomplir son acte. Ce contraste entre une violence intérieure explosive et la plénitude presque lénifiante de la ville et de son lac font un décor propice au roman noir. Mais en même temps, la résolution de l'intrigue policière proprement dite — qui tue — passe au second plan, et c'est contre son sentiment intérieur et malgré lui, presque par inadvertance, que Mister permet de dévoiler la vérité. Assomante vérité, impossible vérité, et pourtant...

Chacun des personnages rencontrés par Mister, en ville ou au Casino, va prendre sa place dans un scénario sophistiqué et déroutant, le portier du Casino, le taxi, les curistes, le commissaire, le lac lui-même, actant essentiel, « comme si tous les pas, dans cette ville, ne pouvaient mener que là : au bord de ces eaux vertigineusement calmes. » Et tout le monde évoluera dans une normalité dont la seule résolution de Marcus — tout n'est pas ce qu'il semble être — pour que les faits se mettent en place et laisse apparaître une réalité glauque. 

« Bal, balles, ballet au Casino Royal. La grande foire continuait. Costumée. Chacun tour à tour de passe-passe ôtait son loup et dévoilait sa face. Personne n’était réellement ce qu’il paraissait être. » 

Parmi tous les personnages, Jeannot « frelon » le taxi, qui joue au bolide dans les rues et va montrer à Mister ce qu’était Evian avant le casino, la scierie abandonnée dont les ouvriers ont été pris par l’appât du gain, puis la déchéance du jeu. Ce côté social est très important dans Le Lac des singes, et l’atmosphère jazzy sert cela aussi, même si Marcus Malte ne le brandit pas en étendard comme nombre de ses confrères, il le pose au centre de son roman. Rien n'est simple, chacun a une histoire, et passer à l'acte n'est souvent que le moyen d'exprimer un bouillonnement intérieur, né plusieurs générations avant... 

Outre une histoire originale et attachante, servie par une écriture ciselée magnifiquement, Marcus Malte donne aux jazzophiles des pages magnifiques, qu'on imagine inspirées par un long séjour dans des clubs enfumés, avec notamment les premières pages du chapitre 7, qui sont prodigieuses !

Loïc Di Stefano 

Marcus Malte, Le Lac des Singes, Gallimard, "Folio policier" (Fleuve noir, 1997), octobre 2009, 280 pages, 6 euros

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