"La ligne de tir", de Thierry Brun, Kill bill nancéen

Passes ton chemin ami lecteur si tu préfères le mou et le sociologique à la brutalité et au rythme, car La Ligne de tir ne sera pas pour toi. Pour les autres, amateurs de l'efficacité brute, des noirceurs jusqu'au plus profond de l'âme humaine, de l'impossible rédemption et de Kill Bill, vous allez vous régaler. 

Patrick Jade vit en reclus, isolé des rumeurs de la ville et de ses bas-fonds. Depuis qu'il a décimé la bande qui contrôlait Nancy, et qu'il a pris sur lui d'abandonner Loriane Ornec, flic infiltrée tant et si bien qu'elle est passée du côté des truands - rien ne fut pourtant plus fort que leur passion -, Patrick Jade ne sait plus rien des guerres de pouvoir, des "affaires". Mais il va être réveillé, sorti de son isolement car Loriane, enjeu d'un conflit entre les nouveaux caïds et Patrick Fratier, le flic verreux qui contrôle à sa façon la ville. Car Fratier à tout le monde sur le dos : le procureur, ses collèges, les mafieux qui veulent reprendre le territoire (dans un déchaînement de violence et une démonstration de puissance assez délirante) et ses propres démons. Mais est-ce Fratier le héros, ou Loriane, qui focalise toutes les pulsions mâles, ou Jade, qui incarne le ninja moderne ? ou Nancy, décor sombre où se meuvent les personnages comme autant de marionettes agitées pour le seul bénéfice du décor même.

Ce n'est pas un polar pour fillettes, c'est noir, au point de désespérer de l'humain. Pas d'issue de secours, tout le monde est pourri, les flics, la Justice, les petits comme les grands truands, chacun cherche à garder sa place, son influence, et à sortir de la ligne de tir. Si tu veux survivre, évite les balles ! On se fout complètement de savoir ou est le bien et ou est le mal, si tant est qu'ils soient différents, 

C'est du cinéma, le scénario est découpé très net, par scènes qui se répondent et toutes, les unes après les autres, ajoutent à la construction de l'ensemble. Certaines scènes, d'une violence incroyable, sont là pour contrebalancer par une noirceur surnuméraire le climat général, pour éviter que le lecteur ne s'attache, pour lui rappeler qu'il ne s'agit que d'un entrelacs de vermines.

Qui a la chance de connaître Thierry Brun personnellement, même un peu, sait à quel point c'est un homme posé, délicat, fort civil et urbain, au piont qu'on se demande si l'écriture n'est pas un exutoire à sa noirceur cachée, un déverçoir aux fantasmes les plus profondément enfouis. Mais qu'il contiue ainsi à nous abreuver des monstres de sa nuit intérieure : c'est magistral de pourriture et de style !

Loïc Di Stefano 

Thierry Brun, La Ligne de tir, le Passage, mai 2012, 18 euros

Lire ici l'entretien avec Thierry Brun.

NB : Thierry Brun est Chroniqueur-invité, membre de l'équipe du Salon Littéraire. 

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