"Surhumain", Thierry Brun lance violemment deux forces fraternelles l'une contre l'autre

Tout, dans Surhumain, conduit à la rencontre de deux forces lancées violemment l'une contre l'autre. Deux forces aussi brutales et irrépressibles et qui, chacune, ne pourra accomplir son destin que dans cet affrontement, quasi fraternel, quasi jumellaire, comme deux vies faites pour se construire un enfer réciproque. C'est un roman à ellipses, qui forme sa trame sur fond de noirceur crépusculaire, le tout porté par un style sans artifice et d'une rare puissance, où le thriller prend la forme d'un drame qui n'est là que pour dire autre chose, et beaucoup plus.

Une petite famille mafieuse bien tranquille

Dirigée d'une main de fer par le vieux Alfred Gruz, la petite famille mafieuse de Nancy, comme partout ailleurs, a ses règles et ses usages. Mais quand Gruz décide de quitter la scène, et en beauté s'il vous plaît, les appétits se réveillent et les loups sortent du bois. Tout ce qu'il avait lui-même prévu s'enclenche... Premier d'entre eux, le gros Loubon, notaire, maître Loubon, aussi bouffi d'orgueil que de graisse, qui tire les ficelles et tient ses hommes de main par la crainte. Calife à la place du calife, boursouflé et vide, quand il doit sortir de l'ombre et s'imposer en face à face. Une chiffe molle, presque, qui jouirait volontiers d'un peu plus de pouvoir, d'être une menace encore plus nette pour son entourage. C'est un dominant et un faible à la fois, alors que Gruz est la force pure. Et puis des syriens, un commissaire qui sait tout des trafics et décide que c'est le bon moment pour y mettre fin, une bourgeoise veillissante qui se demande encore pourquoi elle attire tous les malfrats...

Le départ de Gruz coïncide avec le retour d'Asano, et l'arrivé de Rapaic, tout convergeant pour le maximum de dommages collatéraux possibles.

Thomas Asano, de retour au pays pour l'enterrement de sa mère, Béatrice Rapaic envoyée en mission pour infiltrer le réseau et faire tomber le parrain, si possible avant qu'il ne passe la main et que ne s'installe un second règne. Asano est chargé d'un passé très lourd, et il est craint par tout le monde pour une vengeance qu'il est supposé venu exécuter. Asano est l'homme calme, posé, presque serein, mais qui retient un torrent de violence et de rancoeur qui ne demande qu'à déferler, il est né de cette violence, elle le détermine et forge son destin. Rapaic, quant à elle, doit jouer un rôle difficile tout en luttant contre ses propres convictions de policière et de femme. Deux personnages très profonds, dont l'histoire d'amour et de mort est le centre réel de Surhumain. Deux personnages torturés à la fois par leur passé et leur mission, assez pour faire un couple qui fera date dans l'histoire du polar français (en espérant qu'une éventuelle adaptation cinématographique, comme c'est d'usage, ne viendra pas rendre mièvre toute cette force) et dont l'histoire d'amour est un grand moment pour le lecteur, comme une pause nécessaire à plus de tension encore.

« Asano les contraignait à faire front commun. 
Gruz enverrait Rudolph et cette Béatrice, une incapable totale à son avis, pour défricher, préparer, déstabiliser. Puis lui, Loubon, utiliserait la brutale efficacité de Bartoc pour finir le travail. Avec ou sans l'assentiment du vieux caïd ! Enfin, si jamais l'avenir lui souriait, il parviendrait à manipuler Rudolph, à le retourner contre Gruz, à les dresser l'un contre l'autre. »

Béatrice Rapaic parvient à s'infiltrer et à gagner la confiance de Gruz, qui l'envoie séduire et maîtriser Asano, qui a déjà les tueurs de Loubon sur le dos, voire quelques autres en prime. Mais Surhumain est un jeu de massacre, une petite construction que Thierry Brun nous montre, avec toutes les étapes (le passé de chacun, en des flash-back saisissant de justesse et d'à propos), et plus les personnages meurent, plus on espère qu'au moins Asano restera, car c'est un héros attachant, au risque d'y perdre sa morale...

Le style de Thierry Brun est faussement froid, faussement neutre, il ne s'embarasse pas de circonvolutions, il frappe d'un coup sec. Il insinue plutôt qu'il ne peint, il joue avec des archétypes (le tueur, l'infiltrée, la bourgeoise, le notable véreux, etc.) et les dépasse. Son roman est une tension permanente, un maître-livre.


Loïc Di Stefano
 

Thierry Brun, Surhumain, Plon, "nuit blanche", avril 2010, 305 pages, 18,50 euros

NB : Thierry Brun est Chroniqueur-invité, membre de l'équipe du Salon Littéraire.  

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