"Crimes sans importance" de Dave Zeltserman : Ripoux, fin de partie

« Morris parut mal à l’aise.
— Eh bien, euh… Ce fut un plaisir de t’avoir comme pensionnaire, jeune homme, dit-il. Si jamais tu veux passer me voir pour prendre une leçon sur la théorie des dames, ne te gêne pas. (Puis, d’un ton sérieux :) Tâche de ne pas te mettre dans le pétrin. »

Ce passage tiré de l’ouverture de ce roman est emblématique d’un genre qui se nourrit d’histoires de paumés, d’alcooliques, de laissés pour comptes, de loosers et de gens qui ont dérapé, sans espoir de retour. À cet égard, Crimes sans importances constitue un véritable archétype.

Bienvenue chez les perdants

Joe Denton, quarante ans, est un looser. C’est un ancien flic corrompu, au courant de toutes les petites combines, que sa passion du jeu a autrefois endetté auprès de tous les bookmakers du coin. Sept ans plus tôt, le procureur, Phil Oakley, avait réuni un dossier complet sur ses malversations, impliquant ses collègues. Denton s’introduisit chez lui, manqua de tuer Oakley — qui survécut défiguré — avant de se faire prendre. Dès sa sortie, le shérif l’attend et lui promet qu’il pourra malgré tout toucher sa retraite, petit service rendu pour le remercier de ne pas avoir révélé tout ce qu’il savait sur les trafics auxquels la police locale est mêlée. Denton emménage chez ses parents, qui le regardent comme une bête sauvage et comme un étranger. Oakley, présent à sa sortie de prison, lui apprend que Manny Vassey, le parrain du coin, est en train de mourir du cancer. Il est d’ailleurs à ses côtés chaque jour pour lui lire la bible dans l’espoir de le pousser à soulager sa conscience, ce qui aurait entre autres pour effet de renvoyer Joe derrière les barreaux jusqu’à la fin de ses jours.  Dure réadaptation à la liberté. Et il y a les vieux copains, les anciennes habitudes… Tout pousse donc Joe Denton à renouer avec le crime…

Un héritier de Jim Thompson

On retrouve dans ce premier roman de Dan Zeltserman l’ambiance poissarde dans laquelle baignait les ouvrages de Jim Thompson. Flics corrompus et combinards, parrain pathétique, descriptions psychologiques acérées font de ce roman un enfer dans lequel se plonge avec délice l’amateur de roman noir, toujours heureux de revisiter ses classiques. Ici, point de salut. Joe Denton n’est pas un mauvais bougre, il a juste choisi, comme lui reproche son ex femme, la voie la plus facile, la plus simple. Celle qui lui demandait le moins d’effort. Il rappelle très bien le personnage de 1275 âmes, roman le plus connu de Thompson et un des fleurons de la série noire. Sa fin, tragique, est à l’image d’une histoire où aucun bol d’air frais ne peut venir soulager le lecteur.

Un roman prometteur

Il est évident que Dave Zeltserman connaît par cœur les codes du genre et rend un hommage appuyé à son maître avec ce premier livre. Il sait créer une atmosphère pesante, tragique qui sied à la description chirurgicale d’un paumé devenu criminel, perverti par un système mafieux,  qui se rachètera par un acte nihiliste non dénué de courage. Gageons que l’auteur saura corriger certains défauts (des facilités par exemple dans la construction de l’intrigue) et nous donnera d’autres romans aussi capiteux.

Sylvain Bonnet

Dave Zeltserman, Crimes sans importance, traduit de l'américain par Gérard de Chergé, Payot, « Rivages/Thriller »,  Avril 2011,19 €

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