"Le dernier contrat", Olivier Maulin dresse une allégorie des contradictions de notre monde


Scènes de guerre civile

La France est plongée dans une crise économique et morale extrêmement grave. Un prédicateur, Frère-la-Colère, appelle le bon peuple à l’insurrection, semant la panique parmi les élites et les politiques. Les émeutes se multiplient et les barricades commencent à se monter dans les grandes villes.

Pendant ce temps, un homme arrive à son hôtel dans une petite ville de province, où il a réservé une chambre pour deux nuits. C’est un tueur à gages qui a rendez-vous pour un contrat dans l’ancienne zone portuaire. A son arrivée, son intermédiaire n’est plus qu’un cadavre et les responsables lui tirent dessus. Le tueur se débarrasse d’eux sans difficultés, quitte la ville et monte sur Paris en plein couvre feu, fouille l’appartement de l’intermédiaire, et y trouve des éléments qui l’aideront à comprendre dans quel traquenard il est tombé. Sur l’ordinateur, il remonte une piste qui lui fait aussitôt quitter Paris pour Barcelonnette. Là-bas, il prend contact avec un des amis de la victime et ne tarde pas à rencontrer Frère-la-Colère, qui lui propose alors son contrat : tuer le président de la République…

Avec une telle trame, plusieurs voies sont possibles : un San-Antonio comme un Gérard de Villiers ! Ou un Jean Vautrin aussi. Or Olivier Maulin, qui n’est pas un auteur habitué au polar — mais c’est là aussi un des challenges de la collection Vendredi 13 que d’offrir la possibilité à des auteurs de Littérature blanche de faire un essai dans le genre — réussit à nous enthousiasmer.

Road Movie

Le tueur voyage à travers une France au bord de la guerre civile. C’est le récit d’une errance : du sud vers Paris, puis de Paris vers Barcelonnette, de Barcelonnette vers Paris. A chaque fois, les scènes se ressemblent : notre héros prend une chambre, l’hôtel est presque vide, il boit, lève une fille... Notre héros est en crise (un an avant, il a raté un contrat et cherche à prendre sa retraite) et se retrouve à mener une quête de plus en plus existentielle. Maulin l’amène petit à petit vers sa rencontre avec Frère-la-Colère, comme si celle-ci devait enfin donner un sens à sa vie (la chute du roman n’en est d’ailleurs que plus dure…) autant que lui donner de quoi financer une retraite coquette.

Revolution Blues

L’histoire progresse parallèlement au récit des dernières informations sur l’insurrection, qui prend au fil des pages une ampleur inégalée depuis le 19ème siècle. Frère-la-Colère utilise les médias, et leur envoie des messages à la manière d’un Ben Laden, et met la pression sur le pouvoir en place. Mais ce mouvement révolutionnaire dirigé par un moine défroqué, qui a des faux airs de Savonarole, n’a aucune idéologie propre. Quant aux personnes qui le soutiennent, l’auteur décrit des jeunes, révoltés, fans d’informatique, sympathiques, dotés de la conscience politique des indignés de Stéphane Hessel — c'est-à-dire qu’ils n’en ont aucune. Ils sont en colère, veulent bien sûr renverser le système mais la question de l’après n’est pas posée. Adeptes de la table rase, ils sont quelque part les descendants des nihilistes russes, de Netchaïev, le panache en moins. Maulin pose sur eux comme sur notre société un regard sans concessions, plutôt savoureux pour le lecteur.

Roman écrit à la première personne, le dernier Contrat est une allégorie des contradictions de notre monde. Olivier Maulin utilise lepolar à dessein : à travers une histoire — héros solitaire et fatigué, évoluant dans une zone grise, au milieu d’une société en crise — et un style — caractérisée par  une écriture  comportementaliste —,  fidèles aux codes du genre, il nous livre quelque chose de plus qu’une simple pochade. Ici, la vision du monde se teinte d’amertume, la trahison est reine et tout changement du système semble impossible. Parfois drôle, ce livre contient aussi une part tragique et mélancolique -à l’instar, à nouveau, de nombre de romans noirs — comme ce jugement final du personnage le laisse entendre :

« - Une dernière question, a dit Besnard en se rasseyant derrière son bureau. Il était comment ce… Frère-la-Colère ?
J’avais la main sur la poignée de la porte. J’ai réfléchi un instant.
- Il était sympathique. »


Sylvain Bonnet

Olivier Maulin, Le Dernier contrat, Éditions La Branche, collection « Vendredi 13 », Février 2012, 191 pages, 15 €

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