"Monstre sacré", Hollywood Nightmare

« - Mais
vous voudriez savoir comment tout cela a débuté, n’est-ce pas ?
- Oui, tout à fait.
- Comment
ce talent qui était un don de Dieu s’est mué en une entreprise d’une telle importance ?»

Une créature de cinéma

Jack Pine, star de cinéma, se réveille après une cuite monumentale et se retrouve face à un journaliste, Michaël O’Connor, venu l’interviewer. Pine, trop heureux de se livrer à son numéro habituel, à la fois exhibitionniste et idiosyncrasique, commence à se confier. Il nous raconte son départ pour New York, ses débuts au théâtre, marqués par sa rencontre avec Miriam Croft, actrice brillante mais vieillie : il entame une liaison avec elle, ce qui lui met le pied à l’étrier. C’est cependant un dramaturge homosexuel — avec qui il couche aussi - qui lui offre le rôle marquant qui lance sa carrière au théâtre, passeport pour une carrière plus lucrative au cinéma. Jack Pine devient rapidement une star mais le mérite-t-il ?

L’intérêt du roman est double. Tout d’abord, Westlake a choisi de structurer son histoire autour d’une série de flashbacks, soigneusement agencés, sur le parcours et la carrière de Jack Pine. Ce dernier se raconte sans détours. Parfois, dans certains passages, on pense à Marlon Brando ou Richard Burton, coutumiers de ce genre d’excès. Sauf que Pine est dépourvu d’ego et de personnalité bien marquée. Et c’est aussi pour cela qu’il est aussi bon acteur : il est une page blanche sur laquelle vient s’imprimer chacun des personnages qu’il interprète. On le devine influençable, manipulable. Ainsi, la description de sa relation avec Buddy Pal n’en prend que plus d’importance et constitue le fil rouge du roman. Des souvenirs imbibés et hallucinés d’une star déclinante, on dérape au fur et à mesure dans le sordide et le crime…


Gémellité forcée

Buddy Pal… Le nom constitue déjà une énigme. « Pal » signifie pote en argot américain.  S’ajoute « Buddy », autant un prénom qu’un autre mot pour dire meilleur ami. Dans cette histoire, Buddy Pal, pléonasme incarné, est toujours aux côtés de Jack. Dans son ombre. Il l’aide en le sortant de situations délicates, s’arrange pour s’occuper de lui quand il est trop saoul. Pine et Pal sont en symbiose complète mais la relation est inégale : qu’il couche avec la femme de son ami ou démystifie le gourou dont il s’est entiché, Buddy n’existe cependant que par la grâce de Pine. Chose curieuse : au fur et à mesure on avance dans la lecture du roman,  un doute finit par germer dans notre esprit : et si Buddy n’existait que dans la tête de la star alcoolisée ? Et si l’on était devant un cas de schizophrénie avancée ? Mais l’auteur ne prend pas cette direction : la coda finale nous indique que Buddy a réellement existé. On peut le regretter.

Un grand du polar

Donald Westlake (1933-2008) a écrit de tout, même de la science-fiction, avant de devenir un des grands auteurs de roman noir. Il a excellé dans l’humour drolatique avec la série des Dortmunder, sans que cela ne l’empêche d’écrire avec le cycle des Parker, sous le pseudonyme de Richard Stark, des romans aussi violents et percutants que des balles de magnum. Avec Monstre sacré, il effleure deux thèmes majeurs, la gémellité – qu’il avait déjà traité avec maestria dans Un jumeau singulier- et la folle vie dans le monde du cinéma, chargé d’une mythologie intrinsèquement lié au roman noir. Si la variation qu’il nous offre ici est très efficace, on est loin cependant d’une réussite majeure. Il est vrai que Westlake écrivait beaucoup, avec des résultats inégaux. Pour autant, il n’a que peu déçu et ce roman plutôt agréable souligne à quel point il nous manque toujours.

Sylvain Bonnet

Donald Westlake, Monstre sacré, traduit de l'américain par Pierre Bondil, Payot, Rivages/Thriller, Juin 2011, 271 pages, 18,50 €

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