"L'arcane sans nom", Initiation au noir pour Bordage

Un étranger d
ans le polar

On connaît surtout Pierre Bordage pour ses romans de science-fiction, par exemple Les Guerriers du silence ou Les Fables de l’Humpur, inspirées par les grandes mythologies. Le retrouver dans la collection « Vendredi 13 » surprend donc. Car les deux genres, policier et science-fiction, ne font pas appel aux mêmes ingrédients. L’un s’appuie sur des postulats qui sortent du réel alors que l’autre revendique l’ancrage dans notre monde. Rares sont les auteurs à s’être illustrés avec succès dans ces deux univers littéraires : Richard Matheson constitue la seule exception. Comment s’en sort donc Bordage de cet exercice de style ? S’agit-il d’un ratage ? Où ajoute-t-il une nouvelle corde à son arc ?

Un rythme d’enfer

Sahil, déserteur de l’armée afghane s’est enfui jusqu’en France. Il se cache dans des squats parisiens aux côtés de jeunes satanistes quand il est contacté pour commettre un meurtre, celui d’une femme qu’il ne connait ni d’Eve, ni d’Adam. Il accepte car l’argent lui permettra de rejoindre l’Angleterre où il espère trouver travail et paix de l’esprit. À l’heure dite, il se rend sur les lieux où doit avoir lieu l’assassinat mais réalise qu’il est surveillé : il s’agit d’un piège et dès qu’il aura rempli sa part du contrat, il sera éliminé.

Sahil s’échappe et est pourchassé dans Paris par des gangsters russes plutôt sadiques. Ten, une jeune fille membre du groupe de satanistes — et dont il est amoureux — qu’il fréquentait le planque dans l’appartement de son oncle durant une absence de celui-ci. Alors qu’il se repose, une jeune femme entre : c’est une autre nièce, peu importe. Elle sera abattue à la place de Sahil, qui reprend alors sa fuite.

Blessé par balles, il est recueilli par des jeunes filles roms qui l’emmènent dans leur campement où il sauvé par une guérisseuse. Ne pouvant rester en place, il repart, suivi par une des deux filles et recherche Ten — il croit qu’elle est mêlée à cette histoire et qu’elle l’a conduit dans un piège. Ce qui est faux. En vérité, Sahil ne maîtrise rien et, pour s’en sortir, devra retrouver le deus ex machina de l’histoire, un politique corrompu qui ne lui épargnera rien.

On l’a compris, on ne s’ennuie pas dans ce livre très rythmé : beaucoup de rebondissements, de péripéties, d’action. C’est plutôt bon signe et témoigne du savoir faire de l’auteur qui sait garder l’attention de son lecteur.

Un héros entre ambigüité et confusion

Bordage choisit ici un héros — un ex soldat afghan immigré clandestin — dont il semble épouser la cause, sinon le point de vue. Ce héros est pourtant plein de zones d’ombre car il a participé, sans broncher sur le moment, à des massacres dans son pays. Plein de remords, il a fui la guerre et arrive dans un Occident qui ne veut pas l’accueillir. Sahil, qui a abandonné ses montagnes natales sans espoir de retour, ne pense qu’à passer en Angleterre, eldorado des clandestins malgré la crise économique qui sévit depuis 2008. La Grande-Bretagne reste toutefois la destination rêvée pour les immigrés clandestins et la France un point de passage obligé. Bordage choisit donc d’enraciner son roman dans un contexte sociopolitique, plutôt ignoré de l’opinion en cette période pré-électorale.

Par ailleurs, l’auteur incarne les pulsions populistes qui travaillent le vieux continent dans le personnage du leader politique qui a commandité l’assassinat de sa propre femme par Sahil - celle-ci, après l’avoir aidé, le gêne désormais dans son ascension. L’aspect critique sociale, constitutive du roman noir, est donc présente mais seulement en arrière plan dont l’auteur ne tire que des péripéties supplémentaires. C’est efficace mais le propos sous-jacent du livre apparaît confus par rapport à ces questions.

Sans révolutionner le genre ou signer un roman majeur, Pierre Bordage réussit cependant à s’adapter à un genre plutôt loin de son champ d’action habituel : voici donc un roman qui distrait, finalement fidèle à une tradition feuilletonnesque plus proche du roman d’aventures. Ce n’est déjà pas si mal.

Sylvain Bonnet

Pierre Bordage, L'Arcane sans nom, La Branche, collection Vendredi 13, Octobre 2011, 222 pages,
15 €

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