"Le chasseur solitaire", Chaleur du Sud

Premier roman de Whitney Terrell, sorti en 2002, Le chasseur solitaire a plutôt
été bien accueilli dans son pays d’origine, bien que ce soit surtout le second, King of kings county, qui ait été le plus remarqué. Et il ne manque pas d’ambition : le roman se situe à Kansas city, mêle trois histoires différentes : celle du personnage principal Booker Short ; celle du grand père de Short et de Mercury Chapman ; et enfin celle du juge Sayers et de sa fille. Par son atmosphère à la fois sombre et moite, l’ouvrage se rattache à la fois au roman noir et à la littérature sudiste américaine, celle de Faulkner, de Carson McCullers et de Robert Penn Warren. La question est alors simple pour le lecteur. Terrell est-il tout simplement à la hauteur de son ambition et de ses maîtres ?

Une histoire marquée par l’héritage de la ségrégation

L’histoire se passe donc à Kansas City. La fille du juge Sayers, Clarissa, est retrouvée morte dans le Missouri. Le premier suspect n’est autre que son amant, jeune noir de vingt ans, Booker Short. Celui-ci, protégé par un notable de la ville auquel le lie un secret vieux de soixante ans, Mercury Chapman, se cache pour échapper à la police tandis que les vieilles haines héritées de la ségrégation resurgissent.

Terrell est un auteur ambitieux. Il livre un roman à la tonalité  sociale où les portraits psychologiques abondent. L’exploration du passé des personnages principaux — Booker, son grand-père Isaac, Mercury Chapman, le juge Sayers et sa fille Clarissa — lui permet de livrer une peinture de la société sudiste actuelle assez saisissante. La question raciale irrigue bien évidement le récit car la couleur de peau de Booker fait de lui l’accusé idéal du meurtre de Clarissa avec qui il a commis une transgression de taille: afficher clairementleur liaison, celle d’une blanche et d’un noir. Jusque dans les années 60, il était pratiquement impossible pour un noir d’avoir une liaison avec une blanche et il s’agissait du prétexte idéal à de nombreux lynchages dans le Sud. On est ici au cœur des traumas sudistes. Pourtant, si les relations interraciales occupent une place centrale dans le livre, on bifurque aussi très rapidement vers autre chose.

Car l’autre sujet central du livre, ce sont les relations familiales. Booker et son grand-père Isaac (une relation père-fils de fait, le père de Booker ayant disparu à sa naissance), Booker et Mercury (une autre figure du père en fait), le juge Sayers et sa fille… La littérature sudiste est pétrie d’histoire de familles et de filiations qui finissent mal, issue certainement d’un modèle social patriarcal qui a perduré après la guerre civile avant d’être fracassé par la modernité des années soixante. Et c’est cette atmosphère que Terrell restitue qui lui permet, dans ses meilleurs moments, de retrouver un certain sens du tragique.

Un style trop faulknérien ?

L’ambition littéraire de l'auteur est certaine. Il a choisi de raconter son histoire à travers une forme de récit éclaté, ponctué de flashbacks. Passé et présent s’entremêlent donc dans la narration, à l’image de la vie de ces personnages hantés par leur passé.

Pour autant,on finit par avoir l’impression que Terrell se perd dans des détails parfois touffus. Certains développements sont trop longs, comme par exemple un passage où Booker Short se cache auprès de clochards. On sent aussi que Terrell a beaucoup lu Faulkner et qu’il a du mal à s’extraire de son influence au point qu’on a l’impression dans certains passages qu’ils sont trop écrits « à la manière de » (ce qui est loin d’être anormal car un « jeune » écrivain « paie » souvent ses dettes envers les auteurs qui l’ont inspiré lors de son premier roman).

Pour autant, à travers le portrait de Mercury Chapman et du juge Sayers, la description de la bourgeoisie blanche de Kansascity, encore prisonnière de son passé, est assez réussie et fait partie des points forts de cet ouvrage. La fin du livre est également émouvante.

Malgré donc les quelques réserves exprimées plus haut, il est clair que Withney Terrell a écrit un premier roman très prometteur. On ne peut que souhaiter que le suivant soit bientôt traduit en français afin de pouvoir juger d’une évolution qu’on espère très positive : Terrell a un grand potentiel.

Sylvain Bonnet

Whitney Terrell, Le chasseur solitaire, traduit de l'américain par Jean-Paul Gratias, Payot,  Rivages/Thriller, 384 pages, avril 2010, 21,50 €

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