"Souviens-toi que tu dois mourir", le roman qui nimbe de noir les belles façades de Florence

« Une ville malade. C'est ainsi, ce soir, qu’il voyait Florence. / Une ville qui pourrissait sous le poids des apparences »
Sous l’indifférence froide de Florence, ville d’art et d’histoire aseptisée par la nécessité d'être la vitrine touristique de l'Italie, au cœur d’une Toscane magnifique dont l’auteur nous donne à découvrir quelques recoins improbables, les cadavres d’hommes s’accumulent, et l’Eglise n’est pas loin de s’en trouver mêler — un curé est témoin du premier crime, puis disparaît jsuq'à l'intervention d'un évêque... —, si bien que le commissaire principal Michele Ferrara, prête nom de l’auteur, et patenté légende vivante de la police pour sa résolution d’une série de crimes odieux, est piqué au vif et se plonge dans le dossier. Il ne tardera pas à découvrir, d’ailleurs, qu’on l’y plonge : il reçoit plusieurs lettres anonymes à son domicile, lettres de menaces cryptées et littéraires  comme des charades dont le tueur s'amuse et par lesquelles il nargue de sa supériorité le meilleur flic d'Italie ! 

Le tueur nous est familier assez tôt, dans ses déplacements et dans ses actes, mais ses pensées secrètes et les raisons de sa folie nous restent interdites. Cette proximité, qui le rend humain et le différencie des innombrables massacreurs qui peuplent la littérature de genre, le rend humain, c'est-à-dire encore lus effrayant. Et la révélation finale, si elle n'ôte rien à sa monstruosité, ajoute peut-être à son humanité, ce qu in'est pas la moindre des qualités d'un roman noir.
Pris entre le commissaire Ferrara et le tueur, plusieurs personnages évoluent comme des agents de liaison. le libraire, grand connaisseur des choses occultes et amateurs de jolies filles, décryptera les codes — entre autres — pour son ami le commissaire. Les flics opposés aux méthodes d'investigations de Ferrara et qui voudraient bien le voir chuter, qu'il prenne sa retraite et qu'on n'en parle plus. Deux jeunes filles, enfin, amantes, nous feront bien malgré elles atteindre à l'intimité du tueur qu'elle fréquente et lui faire perdre pied, en partie, avec ses résolutions. mais il n'y a pas de second rôle, de faire valoir, chaque élément est à sa place, les fils un à un se tissent pour former, au final, la trame complète. Et si tout est fait sous vos yeux, vous ne verrez rien ! 
 « Il semble que l’homosexualité des victimes soit leur seul point commun, ce qui confirmerait l’hypothèse du tueur en série. »

C’est bien en jouant avec les apparences et les habitudes que l’auteur, dont ce premier roman lui a valu la reconnaissance de ses pairs et celle des lecteurs, parvient à nous tenir de bout en bout. Car rien n’est ce qui semble être, les hommes d’églises cachent leur main aussi bien que le tueur, dont on va suivre l’évolution jusqu'à la résolution, en toute fin, de ce qui demeure un épais mystère. Car si tout tourne en effet autour de l'homosexualité, celle des victimes — qui ont également en commun de cacher leur penchant — aussi bien que celle du tueur, le secret est bien plus profond : il ne s'agit pas de crimes sexuels mais d'atteinte à la sexualité même des victimes, ce qui est plus profond, et sonne non pas comme l'assouvissement d'un pulsion mais comme le nécessaire apaisement d'un délire de vengeance...

Si le déroulement de l’intrigue est sinon convenu du moins assez classique — c'est le premier roman d'un homme mûr, commissaire dans le réel... —, les multiples pistes explorées et la vie propre à chacun des personnages sont d'un attrait réel, et nous offrent le plaisir de nous immerger dans une histoire noire mais réaliste, loin des surenchères américaines.

Nimbant de noir comme dans Hannibal de Thomas Harris les belles façades de Florence, Michele Giuttari créé avec Michele Ferrara et sa première enquête, Souviens-toi que tu dois mourir (d'autres suivent) un alter ego de grande force, réaliste et attachant.

Loïc Di Stefano

Michele Giuttari , Souviens-toi que tu dois mourir, traduit de l'italien par Françoise Brun, Albin Michel, « Spécial Suspens », mars 2005, 359 pages, 20 euros

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