"La petite fêlée aux allumettes" - un polar aware de Nadine Monfils

Après Vacances d’un serial killer, Nadine Monfils revient avec un thriller à l’humour noir tout aussi décapant. Meurtres, contes de fées, flics travestis ou travestis en flic et une mémé cornemuse qui dépote, avec la petite fêlée aux allumettes, ça va swinguer dans les chaumières et tata yoyo n’a qu’à bien se tenir !

 

Pandore, ville de l’espérance perdue. Nake ne le sait que trop bien et n’a plus beaucoup d’illusions. Un soir, elle retrouve sa grand-mère morte au pied de son lit, serrant dans sa main, une boîte d’allumettes. Bercée par l’histoire de la petite fille aux allumettes, elle la garde précieusement jusqu’au jour où elle en craque une. Elle est alors en proie à la vision affreuse du cadavre d’une petite fille déguisée en Blanche Neige. Le lendemain, elle découvre dans le journal la photo de la même gamine, sauvagement assassinée. Cette vision n’est que la première d’une longue série. Elle n’est pas la seule à s’interroger sur ces meurtres : l’inspecteur Cooper et son équipier Michou mènent aussi l’enquête aidée de mémé Cornemuse, une infernale punaise qui leur colle aux basques, qui lit l’avenir entre les mailles de son tricot, astique tout ce qui bouge en citant du Jean Claude Van Damme et en écoutant Annie Cordy.

 

Au premier abord, pas grand-chose de neuf dans ce thriller : un serial killer qui met en scène ses victimes comme les héroïnes de contes de fée, une jeune femme qui voit les meurtres à travers des visions et un lien qui semble l’unir au meurtrier. Si on s’arrête à ce synopsis, pas beaucoup de surprise à attendre et pourtant la petite fêlée aux allumettes détonne et il faut le dire, c’est en grande partie parce que ses personnages sont complètement barrés. La jeune Nake d’abord, n’est pas une oie blanche mais plutôt une junkie complètement paumée bien loin du petit chaperon rouge. Quand à Mère Grand, elle a bien caché son jeu. L’inspecteur Cooper tient plus d’un Mike Hammer sur le retour que du beau flic ténébreux : la cinquantaine, du bide, solitaire parce qu’il n’aime personne sauf son chien qui vient de se faire écraser (c’est moche). Et pour ne rien arranger, on lui a collé comme équipier la folle du régiment, Michou, futal moulant, chaussures de rital et gomina… bref son antithèse mais qui a au moins le mérite d’être le neveu du maire, ce qui, lorsqu’on a tendance comme lui à se mettre dans de sales draps, peut avoir son avantage. L’apothéose, c’est bien sûr Mémé Cornemuse : une véritable tornade au caractère bien trempé, décidée à ne pas s’en laisser compter. Côté physique, Mémé a tout de la vieille rombière : 15 kilos de trop, les cheveux un peu gras et un sens de la mode qui ferait frémir Anna Wintour « elle avait des rubans roses dans ce qui lui restait de cheveux et portait une robe vichy bleu ciel avec des baskets. Kitty chez les ploucs. » Fan d’Annie Cordy, sa grande passion, c’est Jean-Claude Van Damme. Un vrai dieu dont elle vénère la photo et dont la philosophie lui sert de ligne de conduite. Malgré son âge, mémé sait y faire avec les hommes et n’hésite pas à le montrer et à l’affirmer haut et fort « Je vais lui pomper le guidon pour qu’il pédale plus vite ! Et lui tordre le bigoudi au point qu’il va friser jusque dans ses roustons ! Il me remerciera jusqu’à la fin de ses jours, ce veinard. » Toujours prête à motiver les troupes du commissariat, Mémé Cornemuse est une vraie tornade, un personnage hors norme. Le cadre participe à l’originalité du roman : Pandore est loin d’être une ville où règne l’espérance : on s’y drogue pour oublier, des hommes au chapeau melon errent dans les rues pour se faire pardonner leurs fautes, on y oublie ses enfants et on y insère les viscères des animaux de compagnie dans des poupées pour les garder encore près de soi. Le tout sous la surveillance d’un maire que l’on ne voit jamais, retranché dans sa maison surplombant la ville.

 

Alors la petite fêlée aux allumettes est au thriller ce que les cacahuètes sont à la bière : « Tu bois de la bière et tu en as marre du goût. Alors tu manges des cacahuètes. Les cacahuètes c’est doux et salé, fort et tendre comme une femme. Manger des cacahuètes, it’s a really strong feeling. » Et Jean Claude eut le mot de la fin.

 

Julie Lecanu


Nadine Monfils,  La petite fêlée aux allumettes, Belfond, février 2012, 264 pages, 19 euros

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