"Le Silence des Cris" de Stéphanie de Mecquenem : Polar glacial

Dissipons tout d'abord quelques erreurs éventuelles : il s'agit d'un roman policier dont l'intrigue prend place dans le Grand Nord canadien ; le silence des « Cris » est celui de la tribu Cree, comme l'appellent les États-Uniens, et certes l'auteur jour sur les cris silencieux de ces personnes que l'on tue, et dont nul ne perçoit la plainte.

 

Des femmes, surtout : elles sont retrouvées assassinées au bord de la grand route qui conduit à la Baie James. Tiphaine Dumont, coroner depuis peu, mène l'enquête. C'est une femme solide. Elle avance doucement, en compagnie d'un vieux savant un peu excentrique, Sir Jeffrey, et commence à trouver de fort étranges similitudes entre les meurtres. Seulement... seulement, il faut aller se promener du côté de Waskaganish et de Chisasibi, or vous savez comme moi qu'il est délicat d'enfourcher des scooters des neiges et d'enquêter par moins 35°.

 

Et ces inscriptions indéchiffrables sur les corps des victimes, que signifient-elles ? Un tueur en série serait-il à l'œuvre, fort de son message aberrant ? Et s'il utilise un code, voire un codex, quel est-il ?

 

Tout doucement, avec une bonne connaissance du terrain – l'auteur a vécu au Canada – et quelques fines allusions à d'autres auteurs de polars « féminins », Stéphanie de Mecquenem nous entraîne par la main, ou plutôt la moufle, vers ces endroits perdus, dévastés, où l'on boit de l'alcool au fond d'une cahutte et où des gens meurent sans que le moindre mobile soit envisageable. Le talent de l'auteur est aussi de nous amener à ressentir de l'empathie pour ces victimes dont personne ne s'occupe, à nous faire comprendre la souffrance de femmes oubliées, sans voix : son féminisme s'honore d'être subtil.

 

Et pour une fois qu'un auteur de romans policiers peu expérimenté (un seul autre roman paru : Mauvais sang, avec les mêmes personnages) écrit correctement, nul ne s'en plaindra. Le style s'enrichit parfois de comparaisons étranges, empruntées à des surprises de Dame Nature : « Tiphaine remarqua qu'il avait un léger accent et, derrière ses grosses lunettes de myope, des yeux bleus magnifiques pareils à ceux de ses chiens. Ils lui expliquèrent les funestes raisons de leur présence sur la Transtaïga. »

 

Un autre talent de Stéphanie de Mecquenem est d'être assez savante pour avoir redécouvert un texte ancien, peu connu de nos jours, qui pourrait expliquer les agissements du meurtrier ; mais sur ce point, nous n'en dirons pas plus : la surprise est de belle taille, et montre une nouvelle fois qu'un peu d'érudition ne gâche pas du tout une intrigue policière.

 

Voilà donc un bon roman qui se dévore d'une traite, et peut vous entraîner jusqu'à deux heures du matin, calé contre deux oreillers. Avec des traîneaux, de la neige et du froid ! Que demander de plus ?

 

Bertrand du Chambon

 

Stéphanie de Mecquenem, Le Silence des Cris, Edilivre « Coup de coeur », février 2012, 205 pages, 19,50 €.

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.