Yves Buin, Casa Negra : Sandeman, un agent secret dilettante

L’œuvre d’Yves Buin est diversifiée, mais elle n’est pas cloisonnée. Il y a le guetteur, à l’affût dans l’écriture d’une certaine présence au monde, l’auteur de Maël, un livre entre poésie et métaphysique que je n’hésite pas à qualifier d’initiatique, une méditation sur la vie et sur la mort. Un autre aspect, le plus connu peut-être, est celui du biographe (Kérouac, Céline, Nizan) et de l’amateur de jazz et de blues ; je pense tout particulièrement aux essais qu’il a consacrés à Thelonious Monk et Barney Wilen. Psychiatre, Yves Buin s’est par ailleurs coltiné avec la folie, y compris dans son destin social, ainsi qu’il l’a relaté dans Le psychonaute.

 

Il écrit aussi des romans noirs, de la fiction noire comme il le dit lui-même. C’est cet aspect qui nous intéresse plus particulièrement ici, car il vient de publier aux éditions des Ragosses : Casa Negra, le troisième épisode d’une aventure qui a commencé avec Kapitza et Borggi, édités par Rivages/noir, et qui s’est poursuivie avec Jedda Blues, au Castor Astral. Ce livre est donc un roman noir, mais un roman noir qui a la particularité de sécréter au fur et à mesure sa propre parodie, sa propre dérision. Cela tient sans nul doute à un certain ton et au comportement à la fois détaché et ironique qu’adopte son personnage principal : Sandeman, Ruby Sandeman ! Un tel nom ne s’invente pas. Il fait inévitablement penser à une célèbre marque de porto. Certes, le Sandeman d’Yves Buin ne porte pas le chapeau et la cape, mais il n’en a pas moins sa part d’ombre et de panache.

 

Mais qui est Ruby Sandeman ? Il nous apparaît comme un agent secret assez dilettante, assez autonome aussi, n’en faisant en définitive qu’à sa tête. Yves Buin le décrit comme « un impressionniste du reluquage, un détecteur de mode, un témoin sensible, un analyste moyen de l’âme révolutionnaire, un adepte des atmosphères, en sursis dans la parenthèse de l’existence. » Il travaille pour des commanditaires qu’il ne connaît pas vraiment. Ses seuls contacts sont des comparses que lui présente son mentor Bertó, et eux-mêmes d’ailleurs sont assez indéchiffrables, ne délivrant leurs informations et leurs directives qu’au compte-gouttes. Dans Casa Negra, Sandeman se trouve confronté au réseau Condor, cette organisation secrète qui a réellement existé et qui avait été mise en place par les dictatures d’Amérique du Sud, à l’époque de Pinochet. A partir de cette réalité, Yves Buin imagine que des documents secrets ont été découverts au Paraguay concernant cette organisation. Ces documents ont été récupérés par Casa Negra, une organisation chargée de traquer les membres de ce réseau. Sandeman va participer à cette traque.

 

Voilà pour l’histoire qui est en même temps un prétexte pour déambuler, dans « Paris-Paname » notamment, et ses lieux parallèles. Le lecteur s’abandonne avec délectation à cette dérive d’Yves Buin qui nous fait découvrir des personnages et des endroits singuliers, hôtels, cafés, restaurants. A partir de ces lieux, Sandeman nous entraîne aussi dans l’imaginaire du vécu. Qu’il entre dans une boutique pour acheter un CD, qu’il passe devant un cinéma, qu’il entre dans une librairie, et c’est aussitôt un voyage, dans la musique, les films ou la littérature. D’ailleurs, le fil conducteur de Casa Negra est Ecco homo de Nietzsche.

Quant au style, c’est un rythme parlé, presque argotique, dans l’écriture. Buin bouscule la langue. Je dirais même, puisqu’il s’agit d’un roman noir, qu’il la travaille au couteau !

 

Alain Roussel

 

Yves Buin, Casa Negra, Éditions des Ragosses, avril 2014, 287 pages, 14 €

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