"Histoire des idées politiques dans l'Antiquité et au Moyen Âge"

Philosophe et essayiste, professeur à l’ESCP-EAP (Grande Ecole de management), Philippe Nemo a publié dans la même collection L’Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains (2002). Il est aussi l’auteur de La Société de droit selon F. A. Hayek (PUF, 1988) et de Qu’est-ce que l’Occident ? (PUF, 2004).

Le contexte historique à chaque fois évoqué, le livre présente la vie, l’œuvre et les doctrines des principaux auteurs d’idées politiques (1) depuis les anciens Grecs (bien avant le Ve siècle de Périclès) jusqu’aux promoteurs, en Europe, des idéologies dites millénaristes (du taborisme en Bohême à l’anabaptisme) qui rejetaient à la fin du Moyen Âge « l’Etat corrompu », certains sombrant même dans la violence pour précipiter définitivement le temps espéré de la justice et de la fraternité voulue par Dieu.

Adressé d’abord à des étudiants, son ouvrage est une somme remarquable d’érudition rédigée dans un souci pédagogique constant pour éclairer les fondements « occidentaux » de la pensée politique moderne (2). L’adjectif « occidentaux » a été volontairement mis en relief car le livre est d’abord le résultat d’un long travail philosophique plutôt qu’historique et scientifique, n’en déplaise à son auteur. Ou alors, le nom du livre eût mérité une autre formulation ou l’ajout d’un sous-titre plus explicite. Son « histoire raisonnée » n’embrasse pas ainsi, à dessein mais sans le préciser dans son trop court avant-propos, le champ immense de la tradition politique non « européenne » depuis l’Antiquité. Tel n’est pas son propos. Son choix partiel est « essentialiste », offrant une lecture exclusiviste de l’histoire des idées politiques. Rien n’est dit par exemple sur le philosophe chinois Han Fei Zei (IIIe siècle av. J.-C.) ou sur les apports, en Europe, de « l’averroïsme » (pensée d’un philosophe arabe au XIIe siècle) qui voulait concilier foi et raison, sauf à travers quelques références lorsqu’il aborde l’œuvre de Saint-Thomas d’Aquin (1224 ou 1225-1277). Personne ne peut nier l’écrasante production de l’Occident dans le champ des idées politiques. Mais vouloir écrire une histoire de la pensée qui gommerait les réflexions développées dans d’autres « espaces » apparaît pour le moins gênant et certainement peu « raisonné ».

C’est en philosophe et non en historien que Philippe Nemo a cherché, ces dernières années, à saisir « les origines européennes et judéo-chrétiennes » du libéralisme, aboutissement politique de l’idée de progrès. Pour lui, « l’Occident » est une construction originale, aux traits universels que ne peuvent lui disputer les autres civilisations, développée en cinq moments historiques fondamentaux : le fameux « miracle grec » qui a inventé la rationalité; le droit privé et l'humanisme romains ; le christianisme dans ses portées éthique et eschatologique autour du Bien, de la charité; la "Révolution papale " entre le XIe et le XIIIe siècles qui a cherché à rétablir le droit sur la force, la « laïcité » en revendiquant, contre les monarchies temporelles, le pouvoir spirituel et enfin « les grandes révolutions démocratiques modernes ». Dans Qu’est-ce que l’Occident ? (PUF, 2004), après avoir décortiqué les « cinq sauts évolutionnaires » rappelés ci-dessus, il propose, rien de moins, qu’une... « Union occidentale » puisque les critères de convergence seraient selon lui plus pertinents que les différences entre l’Europe et les Etats-Unis et permettraient, à l’ère de la « deuxième mondialisation » (3) et de la rencontre controversée, parfois crainte, des « civilisations » de mieux faire face aux incertitudes contemporaines (4).

Un ouvrage sans doute utile pour des étudiants et des lecteurs désireux de connaître certains aspects fondateurs de la pensée politique moderne. À condition d’en connaître ses limites philosophiques et tous ses présupposés idéologiques.


Mourad Haddak

(1) Rappelons que pour l’auteur, il n’y a pas de discours politique, « au sens de discussion sur les règles sociales », sans Etat et sans « pensée rationnelle », s’opposant ainsi à la thèse de George Balandier (Anthropologie politique, 1967, PUF, coll. « Quadrige », 1991).


(2) Philippe Nemo, pour son Histoire des idées politiques dans l’Antiquité et au Moyen Âge parue en 1998 dans la collection « Fondamental », a reçu le prix Koenigswarter (Histoire du droit) de l’Académie des Sciences morales et politiques.

 (3) S. Berger, Notre première mondialisation. Leçon d’un échec oublié, Seuil, « La République des idées », 2003. La « première mondialisation » concerne la période 1870 et 1914 et la dernière celle qui s’est ouverte au moment des « Trente Glorieuses ».

(4) Lire à ce propos notre article sur le dernier livre d’E. Todd et de Y. Courbage, Le Rendez-vous des civilisations, Le Seuil, 2007, réponse récente et critique à la médiatique formule du « Choc des civilisations » du politologue américain Samuel Huntington (1993).



Philippe Nemo, Histoire des idées politiques dans l'Antiquité et au Moyen Âge, PUF, « Quadrige », septembre 2007, 1121 pages (1re éd. 1998), 28 € 

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