"La France périphérique" Arrêt sur images d'une catastrophe annoncée


 Le « moment » Guilluy

 

Ses idées ont été récupérées par le staff du candidat président Nicolas Sarkozy en 2012 et sont reprises aujourd’hui par nombre d’éditorialistes (dont le fameux Eric Zemmour) : à l’instar   du fameux démographe Emmanuel Todd, le géographe Christophe Guilluy fait désormais partie du paysage intellectuel et « médiatique » français. Avec Fractures françaises (2010), il  mettait en évidence la relégation des classes urbaines dans les zones périurbaines, loin des métropoles et des banlieues concentrant les populations d’origine étrangère. La France périphérique lui permet d’approfondir sa thèse, non sans polémiques à un moment où la France, en crise économique et en plein dés

arroi politique, se pose des questions quant à son devenir (sport récurrent depuis… Toujours).

 

L’exode des classes populaires

 

Quelle est la thèse de Guilluy ? Les classes populaires ont fui les banlieues pour le périurbain. Pourquoi ? Par rêve d’accession à la propriété (construire ou acheter une maison dans ces zones a longtemps été « peu » onéreux) et aussi… Désir de revenir à un entre-soi. Le désir de revenir au « village » (à l’heure de la mondialisation et du village global, belle expression des années 80) anime selon notre géographe les membres du « peuple ». Pourquoi ? L’implantation de populations d’origine arabo-musulmanes dans les banlieues conjuguées à l’abandon du modèle traditionnel de l’assimilation (que les immigrés du 20ième siècle originaires d’Europe orientale et du sud ont suivi, non parfois sans douleurs) ont amené à une crispation identitaire de part et d’autre. Les élites, dit Guilluy, ont abandonné le peuple « autochtone » face aux immigrés. Pourtant, contrairement aux sinistres prédictions d’orateurs de l’extrême-droite des années 80-90, les gens n’ont pas fui au départ et ont même cherché la cohabitation. L’exode fut progressif, amplifié aussi par l’abandon des politiques de tous bords.

 

Une conséquence de la mondialisation

 

De plus, cette France périrubaine est touchée de plein fouet par la désindustrialisation et produit de moins en moins de richesses face à des métropoles comme Paris, Lyon, Bordeaux qui s’insèrent et profitent de la mondialisation. France périurbaine et France des métropoles s’opposent donc désormais. Ici, Christophe Guilluy reprend une antienne déjà connue (et qui recoupe l’opposition ancienne peuples/élites, France rurale/France urbaine, voire les anciens et les modernes). Que nous dit-il là-dessus ?

 

Les populations des métropoles, souvent représentées par des élus de la gauche institutionnelle ou de l’UMP, libéraux et partisans du libre-échange et de l’ouverture des frontières (et disposant d’un prolétariat immigré pouvant faire jouer les salaires à la baisse) sont acquises à l’idée d’un monde ouvert (Eric Zemmour stigmatiserait là d’abandon de l’identité française, analysée comme rétrograde).


Face aux populations périurbaines, paupérisées, l’incompréhension est totale et on assiste donc à une rupture entre ces deux France. Nostalgique de grands partis populaires comme le PCF ou les mouvements gaullistes, la France périurbaine  hésite entre abstention et vote FN. Et cette crispation identitaire, note Christophe Guilluy, ne se retrouve pas qu’en France : il analyse le cas de l’Algérie (face aux ouvriers chinois) et d’Israël (face à la main d’œuvre immigrée d’Afrique subsaharienne).

 

 

Les limites de l’argumentation

 

L’auteur de ses lignes avoue une proximité idéologique avec le géographe Guilluy. Pour autant, son analyse, plus sommaire ici que dans Fractures Françaises, omet ou ignore certains éléments. D’abord le poids de l’intégration économique des populations immigrées, en partie liée à l’émergence d’une classe moyenne (qu’il signale) et aussi les progrès de la « sécularisation » des populations de religion musulmane (je renvoie à Emmanuel Todd qui a très bien analysé ce phénomène) : de plus de plus de personnes n’ont plus qu’une appartenance « traditionnelle » à l’Islam, sans réelle foi. Ces personnes, hommes ou femmes, rejoignent finalement la France périurbaine et se marient et…S’assimilent (ce grand mot) à la France.

 

Reste que son argumentation politique sonne « juste » (reste à savoir si elle se vérifiera dans les urnes) et que PS et UMP disent peu ou prou la même chose. Philippe Séguin disait que droite et gauche, grâce à Maastricht, s’approvisionneraient au même grossiste, l’Europe (c'est-à-dire ultra libérale – et donc non libérale -, et a-démocratique  - c'est-à-dire à rebours des principes des révolutions anglaises et françaises). Quelque part, le livre de Christophe Guilluy lui donne raison post mortem…

 

Sylvain Bonnet

 

Christophe Guilluy, La France périphérique, Flammarion, septembre 2014, 192 pages, 18 €

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