Schwarzenegger Total Recall : Mode d’emploi d’une machine de guerre

Arnold Schwarzenegger na jamais été réputé pour sa légèreté. Avec son autobiographie, il jette un énorme pavé dans le marigot. 656 pages. Habituellement les acteurs se contentent de bâcler 200 ou 300 pages, enquillant les banalités agrémentées, au mieux, de quelques anecdotes ressassées. Avec Arnold foin de tout cela. 651 pages cest plus que Shirley Temple (548) et que Jane Fonda (575). Arnold est un homme qui adore les records, son livre en constitue déjà un.

La totale, donc ? Pas tout à fait. Lauteur, et cest de bonne guerre, sélectionne. Et pèche, parfois, par omission. Ainsi soutient-il navoir jamais, à ses débuts, céder à la tentation de jouer les gros bras de service dans un film. Et Le Privé, de Robert Altman ? Non seulement il y incarne un musculeux menaçant mais, de plus, il na pas une ligne de dialogue 

En règle générale, Arnold aime peu parler de ses tournages. Dans son livre, sa carrière cinématographique ne débute quà la page 170, après avoir raconté par le menu son enfance et son parcours de culturiste. Il expédie la plupart de ses films à la va-vite et préfère évoquer la sortie, le marketing, limpact que les ambiances de plateau, les chiffres au box-office.

De quoi parle-t-il alors ? Dargent, de placements, dargent, de rendement, dargent et de politique. Et aussi dargent. Il ne cache rien de ses gains (35 millions de dollars pour le seul Jumeaux) ni de son ascension fulgurante.

Car ce monsieur constitue un cas dans la grande histoire du cinéma. « Quelles sont les chances quun paysan autrichien débarque aux Etats-Unis et devienne le plus grand champion de culturisme de tous les temps, quil fasse du cinéma, épouse une Kennedy et devienne gouverneur du plus grand Etat du pays ? » écrit-il. On peut ne pas aimer ni ses films ni le bonhomme, on se doit de remarquer son incroyable parcours.

Mais, justement, comment en est-il arrivé là ? Total Recall (le livre !) donne la réponse. Une autobiographie sincère fournit plus de clefs quil nen parait. Elle révèle la véritable personnalité de lacteur-auteur. Or Arnold ne parle que de lui. Cela peut sembler une évidence mais pas tant que ça. Relisez les deux livres de Jean-Claude Brialy et vous constaterez quil ne parle que des autres. Schwarzie, lui, à quelques rares exceptions près (James Cameron, par exemple), braque tous les projecteurs sur lui. Il est au centre de tout. A le lire, on perçoit lhomme de fer quil est. Un individu doté dune volonté inflexible qui confine au masochisme (il a souffert pour devenir champion de culturisme). Un ambitieux prêt à écraser tout et tous pour parvenir à ses fins. Il avoue, presque avec fierté, quil a écarté des amis et même des petites amies pour poursuivre son chemin vers la gloire. Il na jamais fait de cadeau à quiconque. Il est une machine de guerre. Chacune de ses rencontres a un but : le faire progresser. Il sait où trouver les gens pour laider à avancer, il les appelle, les contacte, les harcèle même. Il se mêle de tout et ne fait confiance à personne. Hyperactif, en plus, passant dun sujet à un autre, du sport au cinéma, de la politique à la vente par correspondance. Plus Américain que lui, il ny a pas. Fier de sa réussite, fier des fortunes amassées, fier de ses relations, refusant de jeter le moindre regard sur les blessés quil laisse derrière lui, oubliant quune vie nest pas faite que de chiffres ni de records. Ce nest pas une coïncidence si son rôle le plus emblématique est Terminator. 

Tout cela ressort de la lecture de son livre et fait un peu froid dans le dos. Si tel est le prix à payer pour devenir star à Hollywood, et, plus globalement, pour « réussir » aux Etats-Unis, ça ne donne vraiment pas envie. Lexploit relève plus de la haute politique que du talent de comédien. Tout nest que stratégie et rapport de force et à ces jeux-là, Arnold est passé maître. 

Arnold consacre 140 pages à ses fonctions de gouverneur, parle du fils quil a eu avec sa femme de ménage et termine son livre par « Les règles dArnold » que lon est pas obligé dappliquer (sauf « Ne pas trop réfléchir ! »)

Côté strictement cinéma, on samuse à relever quelques piques dont « Jean-Claude Van Damme était le roi des râleurs ». On sétonne de ses erreurs. Arnold ne connaît pas très bien lhistoire de lindustrie qui le fait (en partie) vivre. Ainsi James-Earl Jones na jamais joué Darth Vador mais lui a prêté sa voix. Arnold se trompe même dans sa propre filmographie, plaçant Commando après Predator. Et il semble avoir des problèmes avec le prénom dEddie Murphy quil orthographie trop souvent avec un « y ». Il tente même de défendre Last Action Hero soutenant quil a été « malgré tout » un succès et que les spectateurs qui lont vu lont aimé. Ils nont pas dû voir le même film que cette douloureuse étrangeté qui a sonné le glas du par ailleurs efficace réalisateur John Mc Tiernan. Broutilles que tout cela ? Certes. 

On notera aussi que Schwarzie, qui se présente comme le roi des gaffeurs, a, parfois, la phrase malheureuse. Je laisse celle-ci à lappréciation du lecteur : « Putziger navait vraiment pas du tout lair gay, on aurait dit un homme daffaires ! ».

Total Recall reste un livre précieux pour révéler lautre facette dHollywood. Loin du glamour, loin de toute forme dart, ne reste quune gigantesque industrie où il faut se battre pour simposer, être un animal au sang-froid pour se hisser au sommet. Arnold Schwarzenegger est lexact contraire dun Jack Nicholson. On le savait déjà, son livre le confirme.


Philippe Durant

Arnold Schwarzenegger, Total Recall, l'incroyable et véridique histoire de ma vie, Presses de la Cité, "Documents", octobre 2012, 
656 pages,  22,90
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