En deux cents photographies noir & blanc magnifiques, Joanne Azoubel saisit avec une grâce incroyable cet instant particulièrement fragile de l'entre-deux, suspendu entre la vie privée de l'artiste et son rôle sur scène. Pour ainsi dire cachée dans les coulisses et les loges, elle se fait oublier et guette le moment où l'homme n'est pas encore l'artiste mais déjà plus lui-même. Moments de repos, d'attente, de concentration ou de diversion par le rire ou la musique, de gymnastique ou de dernière cigarette, chacun vit son avant la scène à sa manière. Autant de manières de se préparer à l'affrontement, quelles que soient les années d'expérience, le visage presque anxieux d'Eddy Mitchell par exemple, montre à quel point, malgré les milliers de concerts, la scène reste un lieu à part. Plusieurs personnalités sont très touchantes, comme Lara Fabian qui se repose allongée dans sa loge contre sa maman en un câlin qui est "la grâce d'un moment de plénitude", ou Claude Nougaro qu'on voit remplir un carnet de notes, comme si l'écriture était le seul remède à toutes choses. 

Effet sans doute accentué par le noir & blanc, les regards vident mais d'une puissance émotionnelle. Patrick Dupond,  Guillaume Gallienne ou Laurent Voulzy se vident dans le miroir. Ce n'est pas uniquement de la concentration, c'est vraiment le moment précis où l'homme est en disposition de devenir l'artiste, qui fait en lui la place nécessaire pour devenir le rôle qu'il doit incarner. 

Les soixante artistes réunis sous l'objectif de Joanne Azoubel dans ce très beau Avant la scène, monstres sacrés ou débutants, chanteurs, danseurs, acteurs, sont autant de versions différentes de la fragilité humaine exacerbée quand l'homme va devenir son personnage, quand il sort de lui-même pour devenir artiste. 

Joanne Azoubel, Avant la scène, octobre 2015, Prisma, 220 pages, 35 eur

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