Une histoire de l’idée de l’art

Le problème avec l’histoire de l’art c’est qu’elle est souvent tout aussi foutraque que son sujet d’étude, ce qui se comprend aisément tant la diversité du matériau et tous les agrégats et autres parasites qui gravitent à sa périphérie tendent à brouiller toute tentative objective. D’ailleurs l’objectivité n’a pas ici la primeur puisque par définition l’art est compagnon du ressenti, de l’émotion donc de l’irrationnel. L’objectivité ne sera nécessaire que pour les seuls champs d’étude axant le regard de l’historien : académique, global, sociétal, etc.

Pour tenter d’y retrouver ses petits, c’est-à-dire espérer comprendre le monde des idées qui participe à l’émancipation de l’art – et donc à son histoire – il faut, malgré la réduction que cela implique, un inventaire à la Prévert. En effet, quoiqu’on en pense, certains noms sont incontournables, et dans des disciplines aussi différentes que la philosophie (Aristote, Hutcheson ou Dewey), l’histoire (Pline, Vasari, Burckhardt, Warburg), la sociologie et la psychanalyse (Kracauer, Simmel, Freud), la théorie (Jauss, Hanslick, Brecht, Semper), la critique (La Font de Saint-Yenne, Diderot, Greenberg) et quelques artistes dont les écrits firent date (Alberti, Coleridge, Malewicz, Kandinski, Klee, Tolstoï, Artaud).

Pour s’extraire de la nébuleuse et tenter de se faire une « idée de l’art », si tant est que cela signifie quelque chose de probant, ce dictionnaire thématique est un bel outil pour le profane qui s’intéresse à ce qu’il vient de voir dans un musée, ou l’amateur éclairé qui veut s’investir dans l’épais matériau qui lui procure tant d’émotion, cherchant à comprendre certaines ficelles, courants, démarches…

Car la nébuleuse théorique – ah, c’est de l’art, alors… – ne permet pas d’expliciter le pourquoi du comment, ni de comprendre où et à quelle occasion. L’urinoir de Duchamp en étant l’exemple type.

Ainsi, pour appréhender notre rapport à l’art il convient le plus souvent de le situer dans un moment historique, et cela met alors en lumière ce décalage entre la pratique artistique et le paradigme de l’époque : art moderne, art brut, surréalisme, suprématisme… Des actes forts commis par des artistes à un temps donné, provoquant le scandale, l’incompréhension, avant de devenir un classique.

Et comme l’idée de l’art interpelle, non seulement les artistes mais tous les acteurs du monde artistique (professeurs, marchands, commissaires, conservateurs, etc.), les études fleurirent comme mauvaise herbe au printemps, d’où le nécessaire travail d’épuration mené par Carole Talon-Hugon pour tenter de triller le bon grain de l’ivraie. Avec le corollaire de l’oubli tant la liste est infinie de tous ceux qui ont contribué, peu ou prou, à constituer des paradigmes artistiques. Comment choisir ? La directrice de l’ouvrage s’en explique dans l’avant-propos : Des auteurs ayant une pensée théorique consistante, originale, influente, qui s’exprime dans au moins un ouvrage et qui ne se limite pas à des questions locales concernant un art particulier, y compris si elle part de lui.

Et de ce fait, exit les auteurs vivants susceptibles de pouvoir modifier leur position.

Voilà, à vous de plonger vos yeux dans cette somme pétillante d’érudition, en espérant qu’elle vous incitera encore plus à ouvrir un livre d’art ou à vous rendre dans les galeries et musées…    

François Xavier

Carole Talon-Hugon (sous la direction de), Les théoriciens de l’art, Puf, avril 2017, 776 p. – 35 euros

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