La chronique du poète Jacques Villebesset.

Chronique poésie. Jacques Viallebesset. Jean-Pierre Siméon : La poésie sauvera le monde


Que la poésie vous garde, La chronique de Jacques Viallebesset |


On connait le questionnement du poète Holderlin, à l’aube du XIXe siècle : « À quoi bon des poètes en temps de détresse ? » Considérant, à juste titre, que ce début de siècle est un temps de détresse, Jean-Pierre Siméon répond, avec une audace provocatrice, par un libelle très argumenté titré : La poésie sauvera le monde.

 

Jean-Pierre Siméon commence son plaidoyer par une analyse convaincante de la langue dominante, celle des médias, des politiques et des économistes, qui prétend rendre compte du réel, alors que d’une part elle n’en rend compte que très partiellement et que d’autre part elle le fait de manière partiale. Dans tous les cas, le réel, que l’on nous donne à lire, et plus encore à voir, s’en retrouve atrophié et amputé de quelques-unes de ses dimensions par un langage techniciste et utilitariste. Cette vision du monde, cette représentation du réel, fabriquée essentiellement par un flot ininterrompu d’images nous dit : « Voyez le monde tel qu’il est », se présentant, mensonge suprême, comme objective.

 

La langue dominante, de signification minimale et consensuelle, réduit non seulement le vocabulaire, mais aussi clôt le sens et assigne le réel à sa perception immédiate. Le constat est sévère, mais juste. C’est le rôle de la littérature en général, et de la poésie en particulier, d’une part de résister contre cette langue réductrice de sens, d’autre part de nous donner à ressentir, à voir, à appréhender les autres dimensions du réel. Seule la poésie peut redonner accès au réel, dans sa profondeur et son intensité. De même, cette langue « de bois » dominante, annihilant la fonction imaginante et imaginatrice du locuteur ne donne accès qu’à une apparence du réel, d’où le désenchantement du monde. Seule la poésie peut le ré-enchanter, non pas en proposant une évasion, mais parce qu’elle est insoumission à une vision passive du monde, et qu’elle permet « de réanimer en chacun sa capacité à métaphoriser le réel en produisant des images mentales qui ne doivent rien à personne ».

 

En ce sens, ré-enchanter le monde consiste à se réapproprier la globalité du réel et à rendre compte de ses multiples facettes, pour de nouveau le voir dans un kaléidoscope coloré. « Oui, il y a un autre monde, mais il est dans ce monde », écrivait, il y a quelques décennies, Paul Eluard.

 

Deux siècles après le questionnement d’Holderlin, Jean-Pierre Siméon répond à sa manière et confirme, comme celui-ci, que la seule façon d’habiter le monde est de l’habiter poétiquement. Je ne sais si comme l’affirme, dans une radicalité joyeuse, Jean-Pierre Siméon, « La poésie sauvera le monde », mais ce dont je suis convaincu comme lui, c’est que, s’il peut être sauvé, ce ne sera que par ces artisans inlassables de la beauté que sont les poètes.

 

Que la poésie vous garde…

 

Jacques Viallebesset

 

Jean-Pierre Siméon, La poésie sauvera le monde, Editions Le passeur, mai 2015, 96 pages, 15 €    


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