Grandeur & dépendance

On peut vivre heureux en étant caché. C’est, semble-t-il, le choix de M, romancière vieillissante. Retirée sur une île avec son mari. Lieu d’une grande beauté. La vie s’y écoule paisiblement. Jusqu’au jour où M est foudroyée par une peinture de L. Le temps passant, la voilà qui s’éprend d’inviter l’artiste à venir la voir. Pour justifier cette audace, elle lui apprend qu’il y a au fond de la propriété une dépendance qui a été aménagée avec confort. Il pourra travailler en toute quiétude. Refus poli. Correspondance au fil des ans. Puis retour de conjoncture. Marché de l’art aux abois, notre peintre est sans le sou. Sa morgue sous le bras il débarque… avec sa jeune compagne. Puis la crise s’amplifiant M voit sa fille est son gendre arriver de Berlin, une main devant une main derrière. Ainsi l’ermitage se transforme-t-il insidieusement en Rb&b. Le mari de M, qui n’a jamais quitté son île, taciturne et solitaire, apprécie de moins en moins cette situation.
D’un coup du sort, M tentera d’en faire un coup de chance. Mais ses actions ne reflèteront pas toujours ses desseins. L et sa compagne, sortis d’un monde jet-set, agiront comme de parfaits fats. Les cultures s’entrechoquent, les carapaces se brisent et les êtres véritables finissent par jaillir de leur cachette.
Porté par une écriture fluide et un humour so british, ce roman machiavélique se joue des intrigues comme des personnages. Arroseur arrosé chacun son tour, ils tournent comme ces derviches sans savoir à quoi bon. Tel celui de la chanson de Gainsbourg, M aquoibonnisite, regarde tout partir à la dérive et semble s’en délecter tant cela la rapproche du cœur du monde. Mais toute flamme possède son point d’incandescence et à trop s’épancher on s’y brûle.

Annabelle Hautecontre

Rachel Cusk, La dépendance, traduit de l’anglais par Blandine Longre, coll. Du monde entier, Gallimard, août 2022, 200 p.-, 20€
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