Pierre Guyard, "Leur Silence"

Le syndrome de Pierre Ménard, auteur du Quichotte.

Comment un livre intelligent, finement composé et élégamment écrit, peut-il s'avérer si décevant ? L'auteur, Pierre Guyard, sait faire entendre la musique du personnage, installer sa présence, il parvient même à inscrire sa survie au-delà du temps de la lecture, donner à entendre le tumulte muet d'un amour moribond, la patience d'un mariage qui se fait la belle. Mort de province comme Madame Bovary naguère ? Leur silence. Si les élèves savaient comment, à leur âme défendante, anonymes, ils sapent la psyché des professeurs, en seraient-ils vengés ? Succession des années. Les feuilles des marronniers, prophètes perpétuels des mêmes hivers, Guyard excelle à dire le vide des jours, la douillette douleur d'une vie perdue à la gagner, la faillite des belles images, l'éternelle rengaine de ce chef-d'oeuvre que demeure Les Choses de Georges Perec. Une belle maison dans une des plus agréables régions de France, la Dordogne, une épouse compréhensive, naguère belle, une enfant. Le ver est dans le fruit. L'enfant symptôme refuse de parler. Déjà le théorème pointe son nez : derrière la muette, un enfant mort. Plus exactement, un vieil adolescent, noyé l'après-midi du bachot. L'enfant symptôme, le complexe de Cain jadis réalisé, la mère abusive murée dans son chagrin, un jeune assassin « si beau qu'il fait mourir le jour. » Déjà lu, déjà vu. Souligné. Surligné. Guyard rate son livre. La matière était belle que celle-ci, commune, du collège unique, du lycée de médiocrité comme il en est d'excellence, doucement rongeant le corps professoral installé posément dans la monotonie des jours, la succession des décennies, exact parallèle de la destruction invisible du pays. Tous les ingrédients d'un bon livre – recette hélas suivie à la lettre, au milligramme près. Le héros, ou plus exactement l'anti héros, Vincent Dewasne, passait la rive de la quarantaine quand sa vie comme tissu brûlé, papier jauni se défit...


Toute originalité, toute idiosyncrasie bannies, l'auteur, professeur comme son héros, s'installe sagement, une habitude, devant son clavier comme Chuck devant son large piano cocktail. Tout y passe : un soupçon de Simenon – une vieille mercière butée par un neveu cupide – un doigt de Patricia Highsmith – la fêlure conjuguale – une forte dose de Julien Green – le subtrat homosexuel et sa guirlande coupable – un peu d'écriture blanche tendance Sexties, une larme de Vialatte – les éléphants de pierre –, jusqu'à Flaubert , le bovarysme est mal universel et à votre santé : Prosit. Avec pareille mixture, le moyen de s’enivrer ?


Beau gâchis. Exemplaire. Malaise dans la littérature, collapsus dans l'édition française ? Pourquoi les éditeurs, inlassables, quêtent-ils le déjà-lu comme les écrivains son jumeau le déjà-vu  ? Chacun croit écrire Moïra, l'Étranger, le Fantôme du chapelier, les Fruits du Congo comme le héros de Borges, se croyait l'inventeur de Don Quichotte.


La littérature est une chose trop sérieuse sans doute pour être confiée aux professeurs, et la psychanalyse matière trop furieuse pour illustrer le théorème du secret de famille, excellent filon scolaire ces temps-ci. L'auteur lorgnait-il sur le Goncourt des Lycéens ? En ce cas et seulement dans ce cas, je prie mon lecteur et l'Auteur de considérer ma lecture comme invalide et de laisser la place à l'expression de ma plus vive et plus sincère admiration.


Sarah Vajda


Pierre Guyard, Leur Silence, éditions Ramsay, janvier 2008, 240 pages 

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