Raymond Radiguet, l’étoile filante

Lorsque paraît en 1923 Le Diable au corps, et malgré les éloges de Max Jacob et de Paul Valéry, la critique s’offusque de l’audace du sujet traité. L’action se situe en 1917. Les hommes tombent au combat. Le narrateur, quinze ans, ne connaît qu’un champ de bataille, celui de l’amour. Il rencontre Marthe, de trois ans son aînée, jeune mariée dont le conjoint est au front. Ils deviennent amants. « L’amour anesthésiait en moi tout ce qui n’était pas Marthe » : a-t-on jamais aussi bien résumé l’amour ? Une passion dévorante. Qu’importent les conventions. Marthe est enceinte. Elle meurt peu de temps après avoir donné naissance au fils de son amant. Le mari, revenu sain et sauf, élèvera l’enfant. L’immoralité des amants a choqué l’opinion publique, qui encensait encore ses héros de Verdun. Scandale dans la France d’après-guerre.

 

Raymond Radiguet, l’auteur de ce premier roman en partie autobiographique, est né, né le 18 juin 1903. Il a quitté l’école à quinze ans, après avoir beaucoup lu, pour se lancer dans le journalisme. Il rencontre en 1918 Jean Cocteau qui s'enflamme pour ses poèmes et le pousse à travailler. Loin de paris, entouré de Cocteau et de ses amis, il termine en 1921 Le Diable au corps.

 

Un autre aspect du livre met la critique en colère : le tapage publicitaire orchestré par l’éditeur Bernard Grasset qui présente Radiguet comme un jeune prodige de dix-sept ans, jouant sur le fait que le texte a été écrit alors qu’il avait cet âge-là. Mais le public, qui a toujours le dernier mot, en décidera autrement. Le succès sera immense.

 

Raymond Radiguet ne saurait être réduit à ces quelques éléments biographiques. C’était, malgré les apparences, un garçon sérieux. Lorsqu’il entame la rédaction du Bal du Comte d’Orgel, il prend ses distances d’avec sa vie de bohème et met de l’ordre dans ses activités littéraires. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’étonnante correspondance patiemment rassemblée, et commentée, par deux spécialistes de l’écrivain, Chloé Radiguet et Julien cendres (qui ont également établi l’édition de ses Œuvres complètes). Ces lettres, à Breton, Aragon, Apollinaire, Cocteau, Tzara, entre autres, ou à ses éditeurs sont celles d’un jeune homme déjà mature, curieux de tout, conscient de son talent et qui organise sa vie autour de l’essentiel, l’écriture, sans pour autant se couper du monde. Un écrivain en devenir, qui ne se contente pas d’un premier roman, et dont le succès n’a pas tourné la tête ; bien au contraire.

 

La liaison, réelle ou fantasmée, de l’auteur avec Jean Cocteau et sa mort prématurée, le 12 décembre 1923 de la fièvre typhoïde, ont rajouté au mythe. Son second roman, Le Bal du Comte d’Orgel sera publié à titre posthume en 1924.

 

La mort est finalement une grande pourvoyeuse de talents littéraires. Elle a ainsi favorisé la carrière de quelques écrivains devenus prodiges par la grâce d’une disparition inopinée. Qui sait s’ils auraient connu toute leur vie la même veine créatrice ? Alain-Fournier, l’auteur en 1913 de l’incontournable Grand Meaulnes, porté disparu le 22 septembre 1914, près de Verdun. Il avait vingt-sept ans. Jean-René Huguenin, auteur très séduisant d’un premier roman, La Côte sauvage, paru en 1960, tué à vingt-six ans dans un accident de voiture, le 22 septembre 1962. Roger Nimier, six jours plus tard, sur l’autoroute de l’Ouest, en compagnie de la très énigmatique Sunsiaré de Larcone. Ou encore Albertine Sarrazin, la prostitution, les mauvais coups, les procès, la prison, l’évasion, L’Astragale en 1965, l’amour, la mort sur une table d’opération, à trente ans, en 1967.

 

D’aucuns appellent cela le destin. Bernard Frank, dans une de ses chroniques du Monde (31 août 1988) propose une autre approche, plus radicale, disons… plus provocatrice : « La mort peut être un sérieux coup de pouce. Il y a des renommées et des tirages qui ne tiennent qu'à un fil, qu'à un battement de cœur. On ne lisait ces auteurs que par habitude. Une fois dans la fosse, d'autres fournisseurs se présentent, qui feront aussi bien l'affaire. Il y a de la fatuité à avoir écrit de bons livres ; on vous pardonnera d'autant mieux votre maudite prétention si vous n'êtes plus là pour jouir des compliments que l'on vous adresse enfin. Et c'est vrai que, chez certains écrivains du passé, il n'y avait que leur incommode présence qui entravait leur gloire. »

 

Joseph Vebret

 

Raymond Radiguet, Lettres retrouvées, édition établie par Chloé Radiguet et Julien Cendre, Omnibus, septembre 2012, 445 pages, 21 €

 

Raymond Radiguet, Œuvres complètes, édition établie par Chloé Radiguet et Julien Cendre, Omnibus, septembre 2012, 885 pages, 25 €


Lire la biographie de Raymond Radiguet.

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