"Feu" de Régine Vandamme, descente aux enfers d'une caricature

Réclusion volontaire pour quarantenaire au bord du gouffre, Feu est une descente aux enfers, volets fermés, dans l’intervalle chronométré d’une journée de canicule.

Un roman à la deuxième personne du singulier, soulignant les modulations secrètes d’une routine destructrice parallèle aux mouvements du monde.

Hugues Worm a 44 ans. Journaliste à la dérive, délaissé par sa femme, séparé de ses enfants, ses heures sont rythmées par les prises d’alcools, d’anxiolytiques, d’antidépresseurs et les coups de téléphone d’une mère vampirique. Tout avait pourtant bien commencé.

Cancre autoproclamé en matière de bonheur, il aura suffit d’une sortie de route pour que tout s’enchaîne dans l’abject, jusqu’au moindre détail. Mais quoi ? Ce 23 juin sera justement l’occasion du bilan, l’occasion de cerner les origines du mal, de photographier les écarts qui ont fait que Worm soit devenu cette loque, ce ver suintant dans les ténèbres suffocantes de son studio.

C’est qu’il n’y a plus rien à sauver, et certainement pas l’apparence. Hugues Worm se veut revenu de tout, à un point caricatural, et cette journée a un goût d’adieu programmé. Seule la pensée poursuit son cheminement, malgré l’abrutissement des drogues et de la chaleur. Le désir, la volonté, tout cela a foutu le camp. En fond, l’impossibilité d’écrire alimente le brasier et participe à la consomption générale.

« L’avenir est un chien crevé sous une armoire. »

Les souvenirs remontent à la surface, comme des spectres parmi les volutes, entre deux gorgées de Ricard, Hugues Worm avoue ne pas avoir trouvé sa place mais continue à s’extasier sur des chansons bon marché, aux paroles médiocres, comme d’autres joueraient la mise en scène.

C’est que Hugues Worm n’est pas vraiment de la race des Werther ou des Alain Leroy. Non. Hugues Worm est un désespéré désespérant. Ses indignations sont assez ordinaires, ses goûts insignifiants et ses idéaux banals. Si son pantalon en cuir et sa chemise en jean voudraient nous donner les indices d’un passé de grand reporter à l’âme rebelle, c’est surtout l’image d’un type lambda, d'un cliché sur pattes, qui nous reste, sans trop d’envergure, s’extasiant sur les textes de Cali ou de Zazie, à en faire (dé)gueuler les voisins, dans ses derniers sursauts d’exaltation.

Feu c’est le désespoir de quelqu’un qui a choisi le sommeil, comme l’on coche une option dans un formulaire dont on n’a pas pris le temps de lire les conditions. Ce sommeil ne le quittera plus ; les références à Un Homme qui Dort de Perec sont omniprésentes, avec ce « tu » qui résonne de 9 h 37 à 19 h 26, dans ce double-jeu de la relation intime, de la connivence et de la distance accentuée par une écriture neutre, détachée.

Ainsi l’auteur observe sa créature se débattre avec elle-même, prisonnière, là où le passé et le présent se consument, dans ce roman incendiaire qui tient par sa brièveté et sa capacité à communiquer le malaise d’une société s’incarnant dans une litanie de marques déposées.

Arnault Destal

Régine Vandamme, Feu, Le Castor Astral, « escales des lettres », février 2010, 151 pages, 13 €


Aucun commentaire pour ce contenu.