Renaud Camus : "Un livre qui tient ses promesses n’est pas de la littérature"


Renaud Camus poursuit son œuvre sur Internet, notamment son Journal, publié au jour le jour, un lieu où convergent désormais tous ses talents : écrits, peinture, phographies…

 

Vous publiez désormais votre journal en temps réel sur Internet. Écrit-on de la même façon, aborde-t-on les mêmes sujets, lorsque l’on sait être lu dans l’immédiateté ? N’étiez-vous pas plus à l’aise lorsque s’écoulaient quelques mois entre la rédaction et la publication ?

Je pensais qu’il en irait ainsi mais, à la vérité, non, cela ne change pas grand chose. Je ne suis ni plus ni moins à l’aise — et, dans l’ensemble, assez à l’aise : le journal a toujours été une forme heureuse, pour moi (au même titre que l’hypertexte, mais pas au même degré, tout de même).

 

— Qu’est-ce qui vous amené de la lecture à l’écriture ?

Ah, mais je ne suis pas sûr du tout que les choses se soient passées de la sorte. Dès que j’ai lu, j’ai voulu écrire. Il est même possible que j’aie commencé à lire pour voir comment on écrivait. Les deux activités n’ont jamais été bien séparées dans mon esprit. N’est-ce pas quand il lit qu’un écrivain travaille le plus ? D’ailleurs je suis incapable de lire une ligne sans un crayon (feutre) entre les doigts.

 

— Pourquoi décide-t-on un jour de devenir écrivain ?

La gloire, l’argent, les femmes. Les châteaux, les voyages, la vie à grandes rènes, l’Académie française, le prix Nobel. La postérité, ses pèlerinages littéraires, ses statues, ses expositions à la Bibliothèque nationale, ses biopics.  

 

Écrivez-vous parce que vous ne trouvez pas votre place dans cette époque ?

Il est certain que je ne trouve pas du tout ma place dans cette époque. Ma poursuite des objectifs ci-dessus est un échec (presque) total. Mais si j’écrivais pour cette raison-là je serais bien fou, puisque, plus j’écris, moins il y a pour moi de place et moins le monde est disposé à m’en faire une, à m’en donner. Peut-être écris-je pour être sûr de ne pas trouver de place dans cette époque-là ? Appelons cela le syndrome de Gaspard Hauser (Ils ne m’ont pas trouvé malin).  

 

Avez-vous des rituels d’écriture, des manies, des TOC, des passages obligés ?

Oh là là, oui, je suis ravagé de manies. Que tout marche pas trois, par exemple : trois adjectifs, trois exemples, trois subordonnées, etc. ; ou par sept : sept livres dans les séries, sept parties dans les livres, etc. Mais mon travers le plus névrotique est le fantasme que les lettres sont des êtres vivants, qu’il faut traiter avec beaucoup d’égards et de justice. J’ai toujours scrupule à en supprimer et veille avec soin à ne pas en effacer plus qu’il n’est indispensable, et surtout à ne pas commettre d’erreur judiciaire.

 

Votre œuvre s’inscrit dans un souci de transparence et de vérité : textes, photos, journaux intimes, internet, rien vous concernant n’est (apparemment) laissé dans l’ombre. Est-ce une forme d’exhibitionnisme ou une définition de l’écrivain comme celui qui dit toute la vérité ?

Je ne suis probablement pas le mieux placé pour répondre à cette question et tout ce que je pourrais dire pourra et devra toujours être placé dans la lumière ou l’ombre de l’inconscient. Exhibitionnisme, je ne pense pas, pourtant, fantasme de vérité complète non plus. Il y a seulement qu’on fait bien des histoires, à mon avis, pour des secrets qui n’en valent pas la peine. Je n’aime pas les secrets, c’est vrai, les petits secrets, les faux mystères, l’anonymat. Pardonnez-moi de me citer moi-même : « Le seul secret qui vaille est le secret qui reste lorsque tous les secrets sont levés. » Mais ce secret-là, le secret au-delà des secrets, le secret en pleine lumière, ce secret là vaut très fort. C’est ce qu’on appelait jadis, au temps de Mauriac et des romans de la forêt landaise, “le mystère des êtres” ; mais il est, avant cela, le mystère de l’être, voire de l’Être, ou tout simplement le mystère d’être. Il est bien humiliant pour lui et pour nous, je trouve, de le confondre avec de vulgaires cachotteries autour de l’argent ou du sexe. Cela dit, je ne force personne… 



Quelle est aujourd'hui, selon vous, la place de l’écrivain dans la cité ? L’écrivain joue-t-il encore un rôle dans notre société ? D’où vous est venu ce goût pour la politique, ce désir de créer un parti ?

Je n’ai aucun goût pour la politique, c’est bien mon problème. J’ai dû m’y lancer à contrecœur parce que je ne supportais plus l’affreuse chape de mensonge, au moins par omission, qui pèse sur la société français et européenne depuis trente ou quarante ans, à savoir le silence sur le changement de peuple et de civilisation, ce que j’appelle le Grand Remplacement. Un seul homme et un seul parti soulevaient un peu le voile et s’insurgeaient contre la loi du silence — je pense bien sûr à Jean-Marie Le Pen et au Front national —, et, par une malédiction insigne, on ne pouvait absolument pas les rejoindre, joindre sa voix à la leur. C’est précisément pour cette raison que j’ai réuni les in-nocents en un parti.

Nous rejoignons tout à fait ici votre question précédente sur la vérité. Je crois que par un long détour la littérature, dont ce n’était pas la vocation, se retrouve en charge du réel, qu’elle hérite par défaut. Lui revient par accident le soin de la vérité. Et cela du fait de la trahison des sciences humaines, et tout particulièrement de la sociologie, qui est au pouvoir actuel, au pouvoir réel, au complexe médiatico-politique, ce que la biologie de Lyssenko était au stalinisme. La sociologie, qui, depuis bientôt un demi-siècle, ne reconnaît les faits, un peu comme le journal Le Monde, qu’en toute dernière extrémité, quand vraiment elle ne peut plus faire autrement, à été l’instrument le plus efficace du mensonge par omission, de la négation de ce qui survenait, de ce que les in-nocents et moi appelons indifféremment dénégationnisme, niveau-montisme (“le niveau monte”) ou mucchiellisme, du nom du plus extrême et du plus divertissants des dénégationnistes. Du coup, oui, la littérature ou ce qu’il en restait recevait, sans l’avoir souhaité plus que cela, le legs dangereux, et qu’elle est tous les jours tentée de refuser comme dévastateur et ruineux, de la vérité.    

 

Où commence et où se termine ce que vous admettez comme littérature ?

Oh, la littérature, ou du moins le sentiment littéraire, très proche, au fond, et pour cause, du sentiment géographique tel que l’a admirablement décrit Michel Chaillou dans son chef-d’œuvre de ce nom, peut surgir n’importe où, dans un guide de voyage, dans un cuir radiophonique (« agitation à Lhassa en faveur de la nuit »), entre de grosses lettres noires sur un mur dans les faubourgs de Saint-Étienne (« Libérez Albertine ! »). Elle est toujours une présence de l’absence, une inopportunité, une non-coïncidence avec elle-même, avec la phrase, avec le sens. «Quel dieu, demandait Barthes, oserait prendre pour devise : je déçois ? » — la littérature, bien sûr. Un livre qui tient ses promesses n’est pas de la littérature. D’où il ne s’ensuit pas, malheureusement, que tous les livres qui ne tiennent pas les leurs en sont.

 

De tous vos livres et de tous vos chantiers en cours, s’il devait n’en rester qu’un qui passe à la postérité, vous choisiriez lequel ?

Vaisseaux brûlés.


Si vous en aviez les moyens, pourriez-vous un jour arrêter d’écrire ?

On a toujours les moyens de mourir.

 

Propos recueillis par Joseph Vebret (mars 2013)

Photos © Renaud Camus

 

Le Journal de Renaud Camus est désormais disponible en ligne et sur abonnement sur son site internet.


À noter que le journal de l’année 2012, Vue d’œil, dernière publication "papier" paraîtra fin avril chez Fayard.

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