Florian Zeller en peine à jouir : de quelle "jouissance" parlons-nous ?

Sous-titré un roman européen, le dernier ouvrage de Florian Zeller se veut une analyse postmoderne du siècle passé, mis en abîme par rapport à la première décennie qui vient de s’achever, et dont les bouleversements sociologiques et économiques commencent à se faire sentir. Pour écrire deux romans en un, il mêle un couple de trentenaire (Nicolas, scénariste candide et raté ; Pauline, cadre ambitieuse et prétentieuse) à ses anecdotes historiques pensant que cela peut donner une raison et inciter une direction ; mais est-ce qu’un fourre-tout ne donne pas plutôt l’impression que l’on a ramassé à la va-vite son carnet de notes et que l’on a jeté, pêle-mêle, tout ce que l’on n’a pas pu recycler dans ses pièces de théâtre pour tenter de monter une mayonnaise ? Ainsi l’on assiste au festival des portes ouvertes : ne pas exiger d’un homme qu’il dise la vérité, mais qu’il soit discret ; pour être une femme moderne, admettre la possibilité d’un coup d’un soir, car ce n’est qu’un jeu ; la fidélité est une aberration, suivons dans ce cas le concept sartrien des amours nécessaires et des amours contingents ; succomber – ou pas – à la tyrannie de la jouissance ; se questionner sur son immortalité (postérité ou descendance ?) et devant ce constat pathétique en arriver à éviter de faire des enfants car c’est la séparation assurée ; renouer avec le sens du sacrifice, etc. Le tout servi par les anecdotes de service : l’éjaculation précoce d’André Breton et la remarque de Cioran sur le rétrécissement des trottoirs qui lui paraît être le fait le plus marquant du 20e siècle.

Si encore nous avions une langue richement maniée, ouverte sur le monde dans un feu d’artifice de trouvailles et servie par un style hors pair, l’on aurait pu se contenter de relire des informations réchauffées remontées de toute pièce pour servir un propos consensuel et désuet, mais c’est un livre totalement convenu, propre sur lui, lisse et froid, qui se parcourt en deux petites heures dont on se demande, en le refermant, ce qui nous a pris d’aller jusqu’au bout : avions-nous donc vraiment deux heures à perdre par les temps qui courent ?

François Xavier

Florian Zeller, La jouissance, Gallimard, août 2012, 160 p. 16,90 €

Découvrir La jouissance sur le site Gallimard.
Claro (dont le dernier roman a été fort apprécié), qui a manifestement du temps devant lui, s'est amusé à une analyse critique très poussée, pour les amateurs...

1 commentaire

voilà qui a le mérite d'être clair ! et Claro enfonce le clou avec FX, comme quoi il n'y a pas que lui qui ose critiquer, enfin les langues se délient comme quoi la maison Gallimard prend un peu l'eau...