Richard Millet replace Sibelius au panthéon de la musique moderne
Boulez et Ravel sont souvent les noms les plus cités par celles et ceux qui tentent de cerner leur connaissance à propos de la musique moderne et/ou contemporaine, tant les Mozart et Beethoven sont ancrés dans l’inconscient. Si bien que la composition musicale semble s’être arrêtée à l’aune du siècle dernier, or il n’en est rien. Pour preuve, Sibelius, magistralement remis en présence par cet essai fantasque de Richard Millet qui s’amuse à secouer le paradigme pour l’alléger de toutes ses feuilles mortes : à l’automne aussi les épouvantails se font légers. Car il convient d’oser pour avancer, s’offrir un plaisir de nouveauté en partant à la découverte de ce compositeur de génie, ce « créateur de premier plan qu’on ne saurait réduire à rien de ce pour quoi on l’a loué ou dénigré, voire méprisé. […] Tout entier dans sa musique et dans le silence qui la couronne. Et à sa place – au premier plan – dans l’histoire de la musique. »
Moderne, Sibelius, qui offre (enfin !) à la musique finlandaise d’advenir à elle-même en la débarrassant du nationalisme musical pour la hisser, en sept symphonies, autant de poèmes symphoniques et un concerto pour violon, au niveau des plus grandes œuvres du XXe siècle.
Valse Triste
Deutsche Kammerphilharmonie Bremen
sous la direction de Paavo Järvi
(Minato Mirai, Yokohama, le 26 mai 2006)
Avançant seul, en miroir de l’écrivain, Sibelius inscrit son art dans le temps et l’impose face à la dictature hurlante d’une civilisation qui se meurt et donc hait plus que tout le silence, cette arme ultime qui relève du spirituel quand le mot d’ordre n’est que matérialité. D’ailleurs, en tant qu’enfant d’un faux silence, Richard Millet s'est très tôt senti condamné à écrire. Non qu'il veuille continuer à se taire mais plutôt pour accepter, tenter tout le moins de s’en faire une raison, de s'approcher au plus près de cette forme d’imposture à valeur de silence, tout en sachant que derrière, tapie dans l’ombre lumineuse du non-dit, cette vérité sur un silence qui nous eût intimé l’ordre de nous taire s’imposerait quoi que l’on fasse… Mais n’écrivons-nous pas, au contraire, pour éviter de disparaître dans ce cri voire de nous délivrer du sens par le mot juste ?
Sibelius, se sentant trop vite enfermé dans les mouvements
politiques qui veulent s’approprier sa musique, ira, lui aussi, s’échouer sur
les rives de l’alcool, se déguisera en dandy, empruntant si l’on veut les pas
de Faulkner. Comme quoi, tout comme en littérature, en musique aussi « les
histoires qu’on y trouve ont bien moins d’importance que les climats et les
atmosphères transmis. » (lettre de Sibelius à sa femme Aino, en février
1890)
Écrivain et compositeur, rappelle Richard Millet, sont confrontés à bien des
difficultés : écriture et composition ont à relever le défi du problème du
sens. Que Sibelius annotera dans son journal le 7 juin 1918 à propos de l’art
et des psychanalystes, lesquels « ne comprennent pas que ce à quoi aspire
un symphoniste – renforcer pour l’éternité les lois régissant le matériau
musical – témoigne parfois de plus de grandeur que mourir pour la
patrie… »
Puisque, dans sa fantaisie symphonique, ce sont les pensées musicales
– les motifs – qui doivent créer la forme et décider de son chemin, Sibelius
marquera l’Histoire de la musique avec la sixième et la septième symphonie qui
atteignirent l’insurpassable, c’est-à-dire ce point où le créateur se trouve au
bord de se renier en se plagiant, accablé de fatigue physique, ne voyant plus
qu’une seule possibilité : se taire.
Chahuté pendant la Seconde guerre mondiale, Sibelius, le dieu à l’œil vert, « demeurera dans
le silence marmoréen de sa huitième symphonie, dans le silence qui peut
recevoir le nom de huitième symphonie, la huitième comme l’irréversible,
l’absolu du silence. »
Preuve définitive que le silence est d’or.
François Xavier
Richard Millet, Sibelius – Les cygnes et le silence, Gallimard, octobre 2014, 144 p. – 14,90 €
1 commentaire
"Au- delà de tout problème de style , l'oeuvre de Debussy est la condamnation irréversible de tous les Sibelius et d'Indy ses contemporains ..." (1961)