Richard Millet voit Israël depuis Beaufort comme un mirage

Pas de panique ! Si je ne suis pas l’ami de l’Israël d’aujourd’hui, je le suis de l’Israël de Michel Warschawski, de l’Israël d’Uri Avneri, de l’Israël des Peled, etc. Le sujet m’intéresse depuis des décennies, le titre titille ma curiosité et Richard Millet est un auteur incontournable… donc une lecture s’imposa. Or, dès l’incise de Pierre Boutang en entrée de livre qui donne un peu la chair de poule : Je crois que Jérusalem ne peut qu’être confiée à la garde de l’État et du soldat juifs , on perçoit que quelque chose cloche.

 

Arborant l’étendard d’une seule vérité dans la parole des Écritures et un refus de se soumettre, Richard Millet raccourcit le débat : juifs et chrétiens contre les musulmans ? Trop simple, trop facile, et pourtant… D’un retour mystique à ses racines chrétiennes, d’une image d’Épinal stigmatisée dans l’enfance par ce château croisé dominant Israël, Millet mélange tout le maelström culturel et religieux de la région pour nous asséner une doctrine radicale. Sa haine de l’athée le pousse à prononcer des sottises, car ne pas croire c’est déjà croire en quelque chose, justement, croire qu’il n’y a pas de dieu au-dessus de tout cela mais seulement des hommes et un univers infini et que l’après-vie n’est rien d’autre que le silence, le rien dans le tout, et non un paradis avec des angelots et des vierges offertes… Il n’y a donc aucune raison pour que Juif, Chrétiens et Musulmans s’entre-tuent, sauf à servir des dogmes politiques donc économiques…

 

Qui tire nourriture de la Bible a, quel qu’il soit, du sang juif – la lettre transfigurant l’origine par-delà l’appartenance ethnique, au croisement de deux universalismes : le religieux et le littéraire.

 

Établir une hiérarchie dans le temps et la culture, même littéraire, n’offre pas de clairvoyance ni de postulats défendables puisque tout n’est que littérature, quand il y a littérature, qu’elle soit nippone, sémite, juive, latine, océanique, etc. Tout ne vient pas de la Bible, loin s’en faut !

Et l’on voit très vite après quelques pages combien le propos est ambivalent, se servant de quelques références culturelles pour pencher vers la sainte alliance, sensée unir Juifs et Chrétiens contre l’islam, le pire mal du moment… Et pour bien noircir le propos, dire n’importe quoi puisque très peu d’Occidentaux connaissent le sujet. Alain Ménargues, l’un de nos tout meilleurs journalistes sur le sujet (ex-directeur de l’information à RFI, auteur d’un extraordinaire livre sur les secrets de la guerre du Liban, publié chez Albin Michel en 2004) fut licencié en dix jours (mais gagna quelques années après son procès dans un silence médiatique sidérant – je pense avoir été l’un voire le seul à en parler) pour avoir simplement dit sur le plateau de LCI (à l’occasion de la publication du Mur) qu’Israël est un état raciste (ce que les textes du droit israélien démontrent, puisque certains territoires occupés sont soumis à la loi martiale, donc militaire, et dissocient le citoyen arabe du citoyen juif, les deux ayant cependant le même passeport !) ; ce qui nous conduit à remettre certains faits à leur juste place.

 

Non, monsieur Millet, en 2006 la guerre unilatérale menée par Israël au Liban ne fut point chirurgicale et ne vous en déplaise – si vous y êtes allé quelques jours après, ma famille et mes amis y étaient, eux, pendant – les destructions furent meurtrières et elle fut une flagrante défaite de Tsahal. Elle ne cessa point par manque d’argent ! (Pour mémoire les reportages de Francetélévions montrèrent les altercations de soldats israéliens avec leurs officiers afin que ces derniers cessent d’appeler terroristes les membres du Hezbollah mais soldats, car ceux qui les avaient combattus sur terrain les reconnaissaient comme leurs pairs ! Sans oublier les manquements de l’état-major qui oublia nombre de ses soldats sur le terrain, les privant d’informations des heures voire des jours entiers…

De même que la haine du musulman qui habite Richard Millet lui fait dire n’importe quoi à propos du retrait d’Israël du Liban-Sud en 2000 : l’ALS fut vaincue sur le terrain, une fois encore par le Hezbollah (minée de l’intérieur par des agents infiltrés, harcelée par la Résistance, etc.) qui recouvra par ce premier fait d’armes marquant toute sa place sur l’échiquier politique national et régional.

 

Non, monsieur Millet, si l’on est nombreux à parler de bantoustan c’est bien que c’est exactement ce qui se passe dans le morcellement de la société palestinienne, ne vous en déplaise, nombre de rapports de l’ONU et autres institutions le démontrent.

 

Non, monsieur Millet, l’on ne compare pas Sabra et Chatila (1982) comme un retour de bâtons après le massacre de Damour (1976), c’est indigne, et de vous, et des Hommes. Toute saloperie demeure une saloperie, on n’en justifie pas une de plus au nom d’une plus ancienne. D’ailleurs, aucune de mes recherches ne trouvent trace d’un autre massacre présenté comme ayant eu lieu dans les mêmes camps quelques années plus tard, commis par le Hezbollah cette fois, pour épurer, en quelque sorte, de tous les éléments sunnites. C’est bien mal connaître ce parti qui est avant tout nationaliste, et donc ne verse en aucun cas dans la guerre fratricide sunnite/chiite. C’est Amal, l’autre parti chiite, qui a mené la guerre des camps, entre 1985 et 1988 !

 

Haïr la doctrine musulmane car elle est anti-démocratique est une chose, que l’on peut comprendre, mais écrire n’importe quoi ne fait pas avancer le débat… D’ailleurs, Richard Millet en appelle à se battre, comme il l’aurait fait au Liban lors de la guerre civile de 1975 (toujours sujet à controverse, certains témoignages contradictoires ne permettent pas de dire s’il a réellement pris les armes ou s’il s’agit d’un fantasme littéraire). Mais pourquoi encore et toujours se battre ? Contre les barbares ? Certes, mais alors la route est longue…

 

Non, monsieur Millet, les hédonistes et les régicides ne sont pas à mettre dans le même sac, avec les païens et les nihilistes et à jeter à la mer… Il vous faut vite lire le Traité d’athéologie de Michel Onfray.

 

Non, monsieur Millet, Israël n’est pas un exemple, et loin de là ! Sauf à vouloir vivre dans un monde bipolaire et en guerre ; ce qui risque bien de nous arriver si l’UE continue sa politique, mais cela n’a rien à voir avec Israël, les Juifs et que sais-je encore. C’est un mal européen et idéologique qu’il faut combattre avec d’autres idées (et non un fusil) et que certaines échéances politiques futures devraient pouvoir offrir à la population le soin de s’exprimer.

Encore faut-il que le troupeau se bouge…

 

François Xavier

 

Richard Millet, Israël depuis Beaufort, Les Provinciales, juillet 2015, 128 p. – 12,00 euros

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1 commentaire

N'ayant pas lu le bouquin, je ne prendrai pas parti dans la discussion, qui , vu le ton du réquisitoire  de FX, promet d'être animée, ( et c'est très bien ).

 

Par contre j'aime beaucoup sa phrase  "Toute saloperie demeure une saloperie, on n’en justifie pas une de plus au nom d’une plus ancienne". Phrase  pleine de bon sens, à rapprocher de ce que disait Gandhi : " Œil pour œil, et le monde entier est aveugle. "


 A signifier d'urgence aux djihadistes égorgeurs qui veulent se venger éternellement des croisades,  au CRAN, qui veut nous faire payer aux français actuels l'esclavage commencé par  les Bordelais au 15eme siècle, aux Grecs qui haïssent encore les Allemands  pour la guerre de 40, aux Chinois qui continuent à vomir les japonais pour les crimes de masse de leurs arrières grands-pères, etc...


Je sais bien que le "devoir de mémoire" très à la mode en France impose qu'on re-ouvre les plaies périodiquement à des fins pédagogiques (ou  bassement politiques) , mais  on ne peut bâtir une société apaisée en exacerbant les ressentiments ad aeternam.  Or c'est ce que font, avec une extraordinaire application , et depuis des décennies, voire des siècles, tous les acteurs du drame du Proche-orient.


Donc, et toujours sans prendre parti sur le fond,  je crains fort que ce genre de bouquin "de combat" ne serve qu'à rajouter du bordel dans le débat, alors qu'il faudrait au contraire de la diplomatie et du respect de l'adversaire  pour désamorcer les tensions...

 En bref, cela a-t-il vraiment un intérêt de le lire?