Signes, codes et symboles de la Renaissance : Richard Stemp dit comment déchiffrer et comprendre leur langage

Apelle calomnié, Vénus désarmant Cupidon, Minerve chassant les Vices du jardin de la Vertu, les bons gouvernants qui assure la démocratie, quatre épisodes que Botticelli, Bronzino, Mantegna et Ambrogio Lorenzetti racontent en peignant quatre superbes allégories. Celée derrière le déroulement visible des actions, leur lecture devient lisible seulement si on en possède les clés. La torche que brandit la Calomnie, le Temps et l’Oubli qui tirent chacun sur le drap bleu qui masque la vérité, les vertus cardinales qui descendent du ciel sur un nuage, la Concorde qui tient un rabot de charpentier, que signifient ces gestes et ces images, quels commentaires faire à leur sujet ? En portant un message caché, l’allégorie, estime l’auteur, est le « langage sacré de la Renaissance ». Comme tant d’autres tableaux présentés dans cet ouvrage, le sens réel des quatre œuvres mentionnées est révélé et expliqué afin que leur interprétation ne soit ni faussée ni ignorée. Ouvrant comme des fenêtres dans ces peintures, les découpant en autant de petits récits isolés et sélectionnés, Richard Stemp écarte les rideaux qui voilent leur compréhension. Le mystère s’éclaircit, l’intérêt s’accroît, les œuvres prennent une autre dimension. Neuf examens de détails pour Le Printemps de Botticcelli, 13 pour la Crucifixion de Fra Angelico, un schéma indiquant comment s’est construit dans la tête des frères Pollaiuolo, Antonio et Piero, autour du triangle d’or, le Martyre de Saint Sébastien, de 1475 et son étonnante géométrie de personnages. Une quarantaine de tableaux sont analysés de cette manière afin que nous sachions ce qui se dissimule sous leur surface.

Les artistes du Quattrocento, à des degrés divers, avaient tous assez de culture et de connaissances historiques, littéraires, religieuses, philosophiques, scientifiques, pour enfermer en marge d’un langage apparemment simple et immédiat, des énigmes dont la portée échappe de nos jours, faute de repères, alors que pour leurs contemporains, les évidences sans être toutes claires, étaient moins opaques. Il serait en effet erroné de penser que les citoyens de Florence, de Sienne, de Rome, étaient incultes et que le sens profond des œuvres leur échappât automatiquement. Il ne fait guère de doute que la majorité d’entre eux vivaient davantage que nous de plain pied avec les enseignements de la Bible, s’intéressaient à l’astrologie, avaient en mémoire les récits mythologiques, partageaient volontiers leur érudition, écoutaient les savants et les clercs. Hier comme demain, la devise inscrite au fronton du musée de Pergame à Berlin garde sa pertinence : Artem non odit nisi ignarus (l’art n’est odieux qu’à l’ignorant).


Après le Moyen Age qui met Dieu au centre du monde, la Renaissance y place l’homme. L’échelle des relations entre le créateur et sa créature change radicalement. L’harmonie de la Création devient la mesure des louanges et les symboles en expriment l’unité. Sorte de « jardin de l’esprit », l’Italie d’alors, pourtant sans unité politique, brassée par de nombreux courants artistiques, représente en Europe un foyer où les idées nouvelles naissent, grandissent et triomphent. L’héritage antique est le socle de cette résurrection du savoir. Pour orienter l’avenir, la Renaissance regarde d’abord en arrière, vers les Grecs et vers Rome, comme on le note en architecture dont les principes s’inspirent de leurs modèles, les développent, les adaptent au nouveau contexte social et économique. Comme en peinture, en sculpture, ce qui est recherché avant tout est l’harmonie, mais poussée jusqu’à l’absolu.


Partant de tableaux dont beaucoup sont connus voire familiers, Richard Stemp épèle les mots de ce langage propre à la Renaissance et reconstitue ainsi son discours esthétique. Le code des couleurs dont l’emploi était lié à leurs coûts, la place de la lumière venue de l’extérieur et de celle qui rayonne d’une source intérieure, l’usage fondamental de la perspective, les règles de la proportion, il développe toutes ces notions qui semblent si évidentes et naturelles mais qui résultent en fait de conquêtes progressives, de tentatives réussies ou abandonnées, d’apprentissages croisés par les artistes en fonction des messages à passer. La fresque du Jugement dernier de Giotto, l’Annonciation de Carlo Crivelli, la Vierge à l’enfant de Masaccio, l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci, l’Histoire d’Isaac de Lorenzo Ghiberti sont des exemples qui étayent sa démonstration. De même, le rôle des symboles, des emblèmes et des abréviations apparaît majeur dans ce perfectionnement du langage renaissant. Si les symboles notamment ont un sens premier qui se retrouve à travers le temps et les lieux, il arrive qu’ils en revêtent plusieurs, ce qui complique l’analyse. Il s’efforce avec à propos de la simplifier.


Très illustré, ce livre explore les grandes œuvres de la Renaissance italienne et en livre chapitre après chapitre les aspects dérobés, détournés, soustraits, avec pédagogie, comme on démontre peu à peu tout ce que contient un rébus, merveilleux et insoupçonné.


Dominique Vergnon


Richard Stemp, Le langage secret de la Renaissance, nombreuses illustrations, 24x30cm, National Geographic, octobre 2012, 224 pages, 35,90 euros

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