Avengers : la Rage d'Ultron

Il y a longtemps, les Avengers se sont débarrassés d'Ultron, le robot meurtrier, en l'envoyant dans l'espace, espérant ne plus jamais le revoir. De nos jours, des années plus tard, Ultron a dérivé dans le cosmos et écouvert une nouvelle planète à conquérir… Titans, la planète de Thanos, ploie sous les assauts de l'intelligence artificielle. Starfox, le frère de Thanos, s'enfuit demander de l'aide à ses anciens équipiers, les Avengers…


Curieux objet que ce Rage of Ultron.


Par son format, tout d'abord, puisqu'il s'agit d'un graphic novel, c'est-à-dire un album relativement long, et pas d'un recueil d'épisodes. Entre 1982 et 1988, Marvel a publié une trentaine de graphic novels, pour ensuite abandonner ce format, puis en produire très exceptionnellement depuis 2013. Sans doute l'éditeur a-t-il voulu profiter de la sortie du deuxième film Avengers, sous-titré Age of Ultron : notez que l'homonymie des titres n'est évidemment pas un hasard…


Si on envisage Rage of Ultron comme un produit destiné à des lecteurs occasionnels, et néophytes, le titre manque sa cible. Jamais on y explique les origines des personnages, par exemple. Et les cinéphiles n'y retrouveront qu'une partie de l'univers développé par le studio Marvel. Ils se rabattront donc les scènes d'action, généreuses et titanesques, servies par deux dessinateurs, Jérome Opena et Pepe Larraz, qui assurent le spectacle ! Les deux artistes prennent un plaisir évident à représenter l'équipe phare de l'éditeur, mais aussi Ultron, plus pernicieux que jamais. Je n'aurais jamais imaginé que les styles de Jerome Opena et Pepe Larraz puissent se fondre aussi bien. Gros gros travail donc de la part de l'encreur, Mark Morales, qui a harmonisé l'ensemble… Une unité visuelle encore plus étonnante si on en croit les crédits, puisque l'album aura épuisé pas moins de trois coloristes ! Et pourtant, pendant la lecture, pris dans le feu de l'action, difficile de remarquer les transitions entre les artistes. Un vrai bon point : on a trop souvent lu des ruptures de styles graphiques absolument dramatiques pour la concentration du lecteur.


Du point de vue des « vieux routards » des comics, La Rage d'Ultron pose un problème de continuité. Le (long) flash-back qui ouvre l'album s'insère vraisemblablement entre des épisodes publiés vers la fin des années 70 (d'après la composition de l'équipe). Pour se débarrasser du robot, les Vengeurs l'exilent dans l'espace. Et on nous explique que Ultron ressurgit à notre époque (ou dans un très proche futur) pour se venger des héros. Sauf… sauf que depuis la fin des années 70, Ultron a régulièrement attaqué les Vengeurs (ou même les Quatre Fantastiques, ou même Daredevil, ou même… la liste est longue). Jamais Rick Remender ne donne d'explication concernant cette incohérence ; ou comment balayer quarante années d'éditions d'un revers de la main. Un peu gênant quand même si on aime la continuité.


Maintenant, passé ces quelques soucis, La Rage d'Ultron n'est pas mauvais pour autant et mérite qu'on s'y attarde pour plusieurs raisons. La première parce qu'elle règle, pour quelques temps, le sort d'un personnage important (dont je ne dévoilerai pas l'identité ici), même si, de mon point de vue, le personnage en question a déjà pris pour son grade régulièrement au cours de sa carrière, et dernièrement dans la (mauvaise) saga Age of Ultron (déjà!)


Ensuite, il y a Rick Remender, scénariste capable du très bon (Black Science, ou Deadly Class dont je vous ai déjà parlé sur le Salon littéraire) mais un peu plus à la peine quand il travaille chez Marvel (Uncanny X-Force est probablement son meilleur travail, Axis le pire - pour rester poli). S'il y a une thématique récurrente dans les travaux de Remender, c'est la relation d'échec entre le père et le fils. Autant dire qu'il se sent à l'aise pour décortiquer ici les relations entre Ultron, robot homicide en mal de considération, et son créateur, le chercheur Hank Pym (aux origines, biochimiste spécialisé dans les insectes, rien à voir donc avec la robotique, mais les scientifiques chez Marvel sont souvent spécialistes en tout, ne cherchons pas plus loin…). Rick Remender pose habilement sous la loupe ce drame « familial », où créateur et créature se renvoient mutuellement la responsabilité de leurs échecs. Et si Remender n'apporte au fond rien de vraiment neuf, son travail fait preuve d'un réel panache qui lui permet d'emporter l'adhésion. Remender se permet même de réactiver un personnage qu'on avait un perdu de vue depuis quelques temps (ah, Starfox !).


La Rage d'Ultron est sans doute une œuvre imparfaite, quelque soit l'angle sous laquelle on l'aborde. Si on met de côté les problèmes de continuité, l'album possède tout de même pas mal de charme, notamment via ses dessins réussis (malgré les conditions de production), son rythme enlevé et sa description plutôt réussie d'un psychodrame à la Frankenstein. Si vous aimez les combats homériques et les héros confrontés à des choix cornéliens, vous devriez y trouver votre compte. Mais si vous êtes pointilleux sur la « continuité marvelienne », attendez vous à tiquer plusieurs fois : un lecteur averti en vaut deux.



Stéphane Le Troëdec




Rick Remender (scénario), Jerome Opena et Pepe Larraz (dessins)

Avengers : la Rage d'Ultron

Édité en France par Panini France (12 novembre 2015)

Collection Marvel Graphic Novels

112 pages couleurs, papier glacé, couverture cartonnée

18 euros

EAN : 9782809451192

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