Indigne, l'expérience de la littérature comme expérience de la vie

Jeune professeur enseignant la littérature dans une école parisienne pour riches américains expatriés, William Silver est adulé par tous les étudiants. Il fascine. Par ses attitudes décontractées, par sa façon de considérer chacun comme une vraie personne intelligente, avec laquelle il est possible d'avoir des échanges de fonds — quitte à indigner les parents les plus stricts comme le musulman père d'Abdul. Qu'importe, Will explique la célèbre pensée de Sartre sur l'existence qui précède l'essence et propose à des gamins qui n'ont jamais été secoués dans leurs apprentissages d'imaginer l'inexistence de Dieu, ou la Liberté absolue, allant jusqu'à laisser un étudiant sécher son cours pour lui prouver qu'il a le choix ! 

Au centre des cours : Camus, Sartre et l'existentialisme, Paris et sa vie fantasmatique, ses bistrots, ses boulangeries, ses rues désertes le dimanche matin. L'apprentissage qu'en tout livre se cache une part de soi, et que chaque lecture est un bonheur privilégié. Le bonheur d'enseigner, de faire naître en chacun cette petite lueur magique quand soudain la révélation !

« Je pense qu'il est de mon rôle de remettre en question la foi de mes élèves. En fait, je crois que c'est mon rôle principal — remettre en question leur foi en toute chose. C'est impossible d'enseigner la littérature, en tout cas de bien l'enseigner, sans questionner cette foi-là. »

L'histoire bascule en deux temps. D'abord, une histoire d'amour avec Marie, étudiante de l'école. Puis quand, lors d'une manifestation, Will est humilié en public et, devant deux de ses étudiants, déchu de son statut de modèle. Mais est-il plus séduisant parce qu'il charme par ses lectures ? est-il un super-héros de la vie réelle parce qu'il sait envouter par ses cours ? Cette modification dans la perception de Silver par ses étudiants, c'est le passage de l'âge adulte, l'apprentissage des réalités.

Quant à la relation entre Silver et Marie, ce n'est pas une surprise, elle est annoncée dès le début. Elle est très belle, dévoile des sentiments d'une grande force mais aussi permet de mettre à jour les failles de certains personnages, les rendant humains. Et la narration polyphonique permet de changer de point de vue (aussi bien en vue extérieure qu'intérieure) sur chaque événement de ce drame qui se joue dans le huis clos d'une salle de cours en un semestre.

Si l'on ne peut s'empêcher de voir en Will Silver un "cousin" du professeur John Keating du Cercle des poètes disparus — qui a popularisé le Carpe Diem... —, mais aussi un Sartre jeune enseignant (qui philosophait les mains dans les poches assis sur sur bureau devant ses étudiants médusés), et en certains de ses étudiants quelques figures types, il faut voir en Indigne un hommage à la littérature et aux passions naissantes, plus fortes et belles parce qu'inédites. Qui plus est, le roman est porté par une écriture vraiment très belle, agréable, maîtrisée pour un premier roman (l'auteur est diplômé de l'Iowa Writers Bookshop et auteur de nombreux articles), même si certaines idées reçues semblent n'être là que pour porter l'idéologie globale de l'auteur (notamment sur le massacre des Algériens qui manifestaient en 1961) : l'expérience de la littérature comme expérience de la vie. 


Loïc Di Stefano

Alexander Maksik, Indigne, traduit de l'anglais (USA) par Natacha Apanah, Rivages, janvier 2013, 284 pages, 21,50 euros

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