Robert Charles Wilson :"Julian", derrière le masque

Aventures au XXIIe siècle


Nous sommes au XXIIe siècle, un vieil écrivain américain exilé dans le sud de la France, Adam Hazzard, livre ses souvenirs sur Julian Comstock, ancien président américain très controversé, plus d’un siècle après l’effondrement de ce que les historiens appellent l’ère du pétrole. Adam et Julian sont deux adolescents qui grandissent ensemble, se livrant à la chasse entre autres plaisirs champêtres, sous la férule lointaine de Sam, garde du corps et protecteur de Julian. Ce dernier est ce qu’on appelle un « aristo », un jeune de l’élite, neveu du président américain Deklan Comstock, cependant responsable de l’assassinat de son père, le général Bryce Comstock. Adam est quant à lui un fils de paysan illettré,qui a appris à lire et à écrire grâce aux efforts de sa mère. Julian a toujours vécu sous la menace de son oncle, tyran imprévisible et cruel.


Et le jour arrive où cet oncle malveillant en vient à menacer sa vie. Adam, Julian et Sam prennent la fuite. Ils s’engagent dans l’armée qui mène une guerre au Labrador contre les forces mitteleuropéennes (principalement néerlandaises) pour le contrôle du grand Nord délivré des glaces. Julian y gagne une solide réputation militaire, retranscrites par un Adam Hazzard qui se découvre un talent d’écrivain. Mais du coup ils attirent l’attention de Deklan Comstock qui décide d’envoyer à la mort les jeunes gens… Sans savoir que l’ascension de Julian commence.


Roman initiatique


Julian se présente de prime abord comme un roman d’initiation assez classique. Adam Hazzard y joue le rôle du candide, qui découvre le monde et ses périls. Julian est aussi la transcription de la vie de l’empereur Julien l’Apostat qui, au IVe siècle essaya de rompre avec le christianisme bientôt triomphant, d’imposer un retour au paganisme sous l’égide de la philosophie, avec un insuccès fameux (il y gagna pourtant une gloire posthume indéniable, voir la biographie que lui a consacré Lucien Jerphagnon). Pour ce livre, Robert Charles Wilson a choisi d’adopter un style qui est celui des écrivains américains et anglais du XIXe siècle (il reprend aussi certaines de leurs valeurs, comme le puritanisme) tels Henry James, Robert Louis Stevenson ou Mark Twain. Ce qui donne à ce roman le ton d’un exercice littéraire de bon aloi, un peu désuet pourrait-on craindre... Pourtant, l’ouvrage appartient en tous points à l’œuvre de l’auteur.


Continuité de l’œuvre


On y retrouve une grande méfiance à l’égard des pouvoirs établis, qu’il s’agisse de l’armée  ou de l’église du Dominion, qui exerce sur la société une domination sans partages et exclut tout progrès technologique susceptible de ramener la fureur de Dieu sur les hommes. Cette méfiance est cousine de celle qui affleure dans Spin ou Les chronolithes vis-à-vis des différentes agences gouvernementales ; plus encore, on sait que chez Wilson, tout commence par un enfermement. Dans Spin, les hypothétiques enserrent la Terre d’une gaine protectrice, l’arrivée des chronolithes enferme la planète dans la crainte de l’arrivée du tyran Kuin, la petite ville décrite dans Mysterium est projetée dans un monde parallèle hostile dont la première réaction des autorités est de l’isoler du reste du monde. Ici Julian et Adam grandissent à l’écart du monde dans une bulle protectrice (ce bon vieux Sam !) mais aussi menaçante (car conçue au départ par Deklan Comstock pour tenir au loin un neveu potentiellement séditieux).


De plus, Julian se place après un de ces grands bouleversements qui parsèment l’œuvre de Wilson, de Spin à Darwinia en passant par Les chronolithes et Mysterium. Que se passe-t-il ensuite ? Une force, en l’occurrence l’église du Dominion, prend la place laissée vacante par l’effondrement de la société. Dès lors,le recours à la figure de Julien l’Apostat, telle aussi qu’elle fut récupérée par certains philosophes ou intellectuels, prend sens : Julien voulait lutter contre le christianisme, vu comme un recul de la culture et de la science (interprétation moderne du règne de l’Apostat, figure singulière et fascinante). Julian Comstock fait de même en luttant contre le Dominion et en produisant un film à la gloire de Darwin, père de la théorie de l’évolution (Wilson doit en vouloir aux créationnistes des Etats du sud des Etats-Unis), qui deviendra après sa mort un samizdat que son ami Adam s’efforcera de diffuser… Après la catastrophe, peinte par notre auteur de livre en livre, la régression ?


Roman difficile, touffu - pour une première approche de Wilson,on conseillera plutôt au néophyte Les chronolithes ou Spin-, Julian n’en contient pas moins des clefs pour comprendre ce qui sous-tend l’œuvre de Robert Charles Wilson. 

 

Sylvain Bonnet


Robert Charles Wilson, Julian, traduit de l’américain (Canada) par Gilles Goullet, Denoël collection Lunes d’encre, août 2011, 608 pages, 28 €

 

Aucun commentaire pour ce contenu.