Roberto Calasso monogrammiste des temps antérieurs et futurs

Il fut un long temps de doute où nul ne pouvait savoir qui était qui : animaux ? dieux ? Seigneurs des ânes hauts ou des agneaux? Esprits ? Anges ou démons ? Voir peut-être tout bonnement des hommes.
Et ce jusqu'au jour – il dura plusieurs milliers d'années – où "Homo" renversa la donne. Il se mit à singer les animaux qui le poursuivaient pour le manger et devint leur propre chasseur dans le même but.

Et c'est ainsi qui naquirent bien des rites, des mythes et des habitudes S'inventa aussi le sacré. Si bien que de nombreuses cultures, éloignées dans l’espace et dans le temps, associèrent de tels rites en une zone du ciel, entre Sirius et Orion : le lieu du Chasseur Céleste.
Cela donna lieu à des histoires que Calasso rassemble dans son propre Chasseur Céleste, huitième partie d’une œuvre en cours commencée avec La ruine de Kasch (coll. Du monde entier, 1987). C'est comme si les Dieux semblaient être venus un jour à la rencontre de l'homme mais de fait les ceux qui les inventèrent s'en dirent messagers mais en furent les héros et les sphinx plus ou moins dévoyés. L'histoire du monde nous le rappelle et l'auteur italien le souligne.

L’œuvre devient ainsi une remontée. Mieux : une régénérescence. Calasso fait revivre des légendes, des connaissances perdues et des civilisations parfois ensevelies. Sa manière de les aborder vaut mieux que tous les traités d’archéologie même s’il leur emprunte quelques bribes. Il décline ces mythes surannés pour retrouver une histoire du passé dans laquelle le monogramme du présent est là tel un archétype.
Habité et totalement "hors cadre" l'auteur de la saga invente une quête du Graal à la renverse. Elle va des aubes des temps au XXIe siècle. On l’a soigneusement enveloppée et cachée, mais le romancier la révèle.

On a voulu faire des êtres l’inverse de héros humains ou animaux. On a fait détester les légendes. Il fallait à ce titre un orgueil intellectuel pour prendre les armes de l'écriture et retrouver la direction du vol de l’oiseau: corbeau blanc, chouette diurne. Dès lors  l'auteur est "réactionnaire" au sens premier du terme. Par son style particulier bien plus moderne qu’il l’imagine lui-même  il crée des histoires dont le retour signalent une avancée. Entre autre du refoulé qu'on ne saurait envisager.

Du temps où les dieux étaient les hommes l'auteur prouve que leur puissance passait par des symboliques aujourd'hui anéanties par fausse superbe et ignorance. Cela permet en outre de prendre la mesure de l'espace et du temps. Ils sont soudain ouverts à un cosmos particulier et terrestre. Le romancier  force à le réviser en conduisant vers des ailleurs qu'il recompose dans l'espoir que les hauts esprits des cultures oubliées nourrissent une science-fiction inédite: elle sort de l'infantilisme où jusque-là le genre est cantonné.


Jean-Paul Gavard-Perret

 

Roberto Calasso, Le chasseur céleste, traduit de l'italien par Jean-Paul Manganaro, coll. Du monde entier, Gallimard, novembre 2020, 576 p.-, 24 €
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