Rodica Draghincescu : le rien et le tout

Rodica Draghinecu remonte à l’intensité lumineuse des mots même si plus on avance leur contour s’estompe. Leur rose devient incolore mais suscite toujours la même hypnose. Les mots peuvent dont devenir l’image inversée de soi-même. Avec son propre nom dans tout autre chose. Ils inscrivent un devenir qui se cherche à tâtons dans l’espoir de découvrir à travers eux un sens au monde et à soi-même.
Tel des objets noirs ils résonnent d’appel, sont producteurs de clés qui transforment le corps et l’âme. Entre lumière et éclipse tout projet poétique est donc le signe d’un manque projeté en fidélité à la recherche d’une zone épidermique, sombre, confuse qui permet de s’interposer face à l’opacité de l’être. Par ce que la poétesse nomme l’état patibulaire des mots un je plus transparent affleure peu à peu. À la condition suprême de ne pas faire de langage un simple miroir de l’âme ou du corps. C’est pourquoi la poétesse n’exclut pas les rebuts car ils risquent de faire parler ce qui se dit en angles morts de l’irrécupérable qui nous aveugle.
Lignes / Mur de(s) mots. / Mots de(s) murs. / Démons de-mûrissez ! / Succession de vagues / Plusieurs réalités exhaustives, écrit la poétesse. Sonder êtres et les choses rend possible au-delà des exercices des passions tristes de penser  l’arbre généalogique mène aux racines de l’au-delà et aux vérités qui nous inquiètent. C’est le seul moyen qu’un réel ait lieu au-delà de tout ce qui sécurise.  
C’est ainsi que la chose des choses est indispensable au cerveau, elle permet hors mythologie d’atteindre la choséïté chère à Beckett. Ce n’est pas facile mais c’est bien là que la poésie a son mot à dire. Et si une voie ne réussit pas il faut au poète toujours essayer autre chose au-delà des préjugés. C’est le seul combat à mener : Je veux anéantir les choses,écrit Draghinescu et ce pour montrer ce qui se cache derrière. Le tout dit-elle avec les rires qui arrachent l’infini.

Jean-Paul Gavard-Perret

Rodica Draghincescu, Rienne, coll. Accents graves/Accents aigüe, éditions de l’Amandier, octobre 2021, Hors série, non paginé, 28€

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