Roland Fischer et les régions humaines

Spécialiste de la photographie documentaire Roland Fischer (né en 1958 à Saarbruck ) est un des artistes phares de la scène allemande contemporaine. Pour sa série la plus célèbre sur Los Angeles, il créa des mises en scène sophistiquées : en plaçant par exemple ses modèles au bord d’une piscine pour les cadrer sur le fond monochrome de l’eau.

Se dégage dans ses portraits comme dans ses architectures quelque chose de neuf. En ces check-up pas de froideur clinique. Pas non plus de sentiment exotique ou extatique. Juste une ingéniosité pénétrante pour mettre du cortège dans la représentation.

Fischer reste l'artiste du trouble, de la fêlure existentielle. Elle surgit en une forme de rigorisme capable de débrider toutefois une sorte de sensualité paradoxale. Nous sommes plongés au cœur d’une errance immobile dans laquelle le statique des poses ou des façades catalyse une force prête à sourdre. Surgit le flot obscur d’un sombre désir, d’une attente et d’une perpétuelle interrogation.

 

Ses visions jouent toujours sur l’ambiguïté. Elles se montrent sous le sceau des figures isolés à Los Angeles où dans la mise en avant en Chine d’une société collectiviste paradoxale et traversée elle-même par des courants contradictoires. Les portraits sont à voir comme autant de fantômes ou de spectres venus hanter le monde des vivants.
Mais il y a bien davantage : la réalité d’une incontournable naissance d’un homme au sein d’une société de façade et d'architectures abstraites qui condamnent à jouir de la vie comme à en souffrir afin d'y rencontrer sans cesse l’ombre portée de ce qui n’est plus sur ce qui n’est pas encore.

L’espace photographique échappe à toute localisation précise et donne une sorte d’éternité à cet éphémère soudain figé. Ce sont donc des limites, frontières, indices interstitiels ou encore des "frustrations" que Fischer explore. Il s’agit de transgresser la surface comme anti-chambre de la (re)présentation. Et l'ensemble n'est pas sans interroger la période de crise et de doute que nous traversons.

 

Jean-Paul Gavard-Perret

 

Roland Fischer, New Photography (1984 - 2012), éditions Meinrad - Maria Grewenibg, Sarrebruk mars 2020, 19,50 €

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