Les Évangiles du lac, Olivier Maulin propose une internationale des paumés en guerre contre le monde moderne

Après l’explosif En attendant le roi du monde, Olivier Maulin récidive avec ces Evangiles du lac, deuxième volet d’un triptyque ou une internationale des paumés rentre en guerre contre le monde moderne. 

Dans la lignée du premier roman, entre deux verres de schnaps, on tente de réactiver les mythes et réanimer les traditions, à coups de pieds au cul s’il le faut, dans une atmosphère délirante ; un plasticage dans les règles des lieux communs de notre époque, un « attentat spirituel » visant à réenchanter un occident gangrené par le matérialisme et l’idéologie du progrès, le tout sur un mode farcesque et désinvolte. Un objet littéraire résolument frais, dont l’insolence est, pour le coup, loin d’être fantasmée.

« Après celui des prêtres-rois et celui des guerriers, voici venu en effet le règne des boutiquiers, règne disputé de longue date déjà par la vaste canaille. Les grandes Ténèbres ont progressivement recouvert le monde des hommes, comme il était dit, et les supermarchés ont remplacé les monastères. »

Pierre, trentenaire parisien désabusé, se trouve embarqué par un couple d’amis au fin fond d’une vallée des Vosges alsaciennes le temps d’un week-end ; dépaysement total pour ce publicitaire, pion d’un système qu’il méprise sans pour autant oser s’insurger ; le bouleversement sera total. Une nature mystérieuse et vaguement hostile, et des personnages hauts en couleurs, excessifs et un brin tarés, auront vite fait de le convaincre de tout plaquer. Prenant conscience de l’éclatante fadeur de sa vie parisienne, rythmée par les slogans de bobos sordides, celui-ci décide de s’installer dans l’auberge-gîte ou travaille Suzy Fuchs, personnage clé du roman.

C’est que Suzy compte bien faire de Pierre un membre de son ordre ésotérique, composé pour l’instant de Louiele, personnage disgracieux et simplet, mais qui cite néanmoins Aristote au détour d’un grognement, et d’un écureuil : Monsieur Ratatosk. Plus tard viendra un grec mélomane afin de gonfler les rangs de cette chevalerie carnavalesque.

À l’instar de Lucien, le grutier chamane et royaliste du premier roman, c’est Suzy qui fait office d’intercesseur avec le monde des esprits. Pierre, à la fois incrédule et fasciné, suivra cette initiation rocambolesque à la rencontre de lutins, satyres et autres fées peuplant forêts, lacs et montagnes des environs. Grisé par le sexe, l’alcool et les discussions enflammées tout ce petit monde vivra des expériences improbables à la lisière du monde invisible et du coma éthylique.

Autour gravitent des personnages loufoques et attachants, mystiques et baroques, ayant pour points communs le même dégoût pour la société actuelle et « le règne du faux ». Pour en découdre les moyens sont dérisoires, mais au moins on rigole. On y apprend par exemple qu’un roi a été rétablit sous Mitterrand pendant 24 heures, après un coup d’état plus que discret.

Entre Fifty-fifty, contrôleur SNCF, sorte de monarcho-révolutionnaire nostalgique de la grande époque du rail, et l’abbé du coin, tel un soldat toujours debout parmi son armée décimée, développant des sermons électriques dans son église déserte et toujours prêt à dégainer son eau bénite, l’auteur déploie un éventail de figures emblématiques, prétextes à de magnifiques empoignades et de burlesques digressions, qui, aussi drôles qu’elles soient, donnent, mine de rien, de sacrés coups de bélier dans l’édifice du politiquement correct. 

Ici les touristes écolos sont ouvertement pris pour des cons. On attend que les deltaplanes se foutent en torche, pour passer le temps, et on vend une fortune des fruits achetés au supermarché du coin après y avoir apposé l’étiquette « marché équitable ». Démocratie, consumérisme frénétique, terreur de la bien-pensance… Tout y passe. La rébellion officielle et la révolte institutionnalisée se font joyeusement ridiculiser parmi les effluves de schnaps.

« Épaves d’idéal ! Bouffeurs de Tagada ! Racaille antifasciste ! Vous portez votre intelligence comme vos frocs taille basse, ma parole ! Au moment même où vous luttiez contre le fascisme mort et enterré depuis cinquante ans, les conditions d’un nouveau totalitarisme se mettaient en place dans votre dos, pourris cons ! Vous gueuliez : No pasaran ! Et tout passait ! Dictature de l’argent, exploitation, misère… No pasaran ? haha ! je veux ! […] Collabos du système ! »

Dans cette région post-industrielle où les carcasses d’usines désaffectées sont réinvesties peu à peu par une nature sauvage et puissante, Olivier Maulin prend le contre-pied de la religion du progrès, en mettant à l’épreuve l’absurdité de cette foi désacralisatrice et tente de renouer avec l’humain, dans son rapport avec la transcendance, de conserver un lien, par le biais d’une franche déconnade héritée de Rabelais ; cela dit, la dimension tragique et poétique reste une composante essentielle de ce roman aussi salutaire, on l’aura compris, et enthousiasmant que le premier volet.

Arnault Destal 

Olivier Maulin, Les Évangiles du Lac, L'Esprit des Péninsules, mars 2008, 343 pages, 21 €
Aucun commentaire pour ce contenu.