Petit monarque et catacombes, Olivier Maulin ferme son triptyque des déclassés

Dernier volet du triptyque comprenant les très remarqués En attendant le Roi du monde et Les Évangiles du LacPetit Monarque et Catacombes vient conclure cette œuvre rafraîchissante par une cuite historique. 

Avec une verve insigne, Olivier Maulin réorchestre les mythes et sélectionne ses héros chez les doux-rêveurs, les bras-cassés et les esprits en marge ; non pas chez les marginaux vendus en série par les chanteurs dits contestataires, mais chez ceux-là qui, au fond d’eux-mêmes et en dépit des apparences, pressentent l’arnaque au-delà des limites de la rébellion banalisée et quadrillée par le système. 

Les dialogues, explosifs, restent le moteur du roman. On retrouve ici tous les éléments qui ont fait la force des livres précédents : la conjonction de l’alcool, comme moyen d’atteindre une dimension nouvelle et de libérer la parole, du sacré et du sexe, vécu en harmonie avec la nature, dans l’exaltation de l’instant, débarrassé des oripeaux revendicatifs et des effets pornographiques quasi obligés dans nombre de réalisations contemporaines. 

Maulin c’est aussi le goût pour la farce médiévale, le sens de l’absurde, ainsi que le sabotage enjoué du matérialisme et de tout ce qui se vautre avec un peu trop de complaisance dans les dépendances de l’époque. Le roman tout en entier s’articule sur un crescendo où chacun apporte sa foi, son amertume, ses espoirs trahis ou ses visions, comme autant d’escarbilles incandescentes qui finiront par provoquer un feu d’artifice au bouquet final renversant. 

Loin des ruelles de Lisbonne ou des Vosges Alsaciennes, le récit se situe cette fois-ci dans les coulisses de l’Elysée – lieu que l’auteur a bien connu pour y avoir, à l’instar de son héros Rodolphe Stockmeyer, effectué son service militaire. Nous sommes quelques années avant l’action des deux premiers romans, en 1992, alors que Mitterrand, malade, touche au crépuscule de son règne dans l’atmosphère délétère des scandales.

Parti pour s’assommer à ne rien foutre, dans cette planque où ternissent les vestiges des gloires passées, Rodolphe va faire la connaissance d’une escouade de personnages attachants, baroques et déjantés, voire tout droit sortis du Freaks de Tod Browning (1) ; un microcosme bercé au rythme des allées et venues d’un maître des lieux fantomatique – le Vieux – et de rares interventions protocolaires, où l’on apprendra d’ailleurs comment le président du Kazakhstan s’est payé l’orgie du siècle à Marigny.

« Le plaisir ça se construit. C’est une synthèse entre la beauté, l’ivresse et la conversation. »

À la nuit tombée, le cœur même de la République devient le terrain de jeu de ses subordonnés. Gardes et petit personnel se rencontrent, au hasard d’une ronde ou pour boire un coup. On échange ses histoires, ses anecdotes, on refait le monde, et peu à peu se dessine l’idée de le remettre en place, ce monde, qui tente en vain de dissoudre l’inquiétude qu’il engendre à coups de slogans creux et d’antiennes fatiguées. 

On retrouve alors Lucien, le grutier mystique d’En Attendant le Roi du Monde, avec quelques années de moins mais autant d’ardeur pour évoquer la tradition royale dans sa dimension fédératrice et spirituelle, au point d’embarquer la troupe dans un complot à la fois burlesque et grandiose.

Au contact de ce petit monde, le narrateur, vaguement maladroit et paumé, va se laisser contaminer par la folie ambiante. Une folie carnavalesque, rabelaisienne, et qui fait sens, au regard des formules et des principes n’incarnant qu’eux-mêmes, ayant perdu cette légitimité verticale qui faisait les héros et les rois. Car c’est bien l’idée royale qui est le fil conducteur du triptyque. Le roi caché, grâce auquel on peut rêver et à qui l’on peut trinquer dans les catacombes de la République, en fustigeant la médiocrité ambiante et le règne du faux. Et peu importe si l’on est trotskyste, bonapartiste ou rien du tout, l’idée royale dépasse ici les carcans politiques.

« Ses yeux brillaient. Il commençait à piger la poésie des siècles. »

Même si chacun des volets peut se lire indépendamment, il est difficile de ne pas considérer les trois romans comme un ensemble, à la fois drôle et poétique, où chaque partie fait écho à l’autre, notamment quant à la construction et à la distribution des rôles. Petit Monarque et Catacombes est peut-être le plus abouti des trois, peut-être le plus direct, en tout cas il conclut de fort belle manière cette campagne de réenchantement passionnée amorcée il y a cinq ans.

De par sa capacité à emmener le lecteur aussi loin dans l’enthousiasme, l’œuvre de Maulin est belle et rend heureux – il est même probable qu’elle rende bon, dit-on.


Arnault Destal


(1) Film culte, Freaks / La Parade des Monstres est d'abord un choc visuel, qui met en scène de vrais monstres, mais aussi une refexion assez lourde de sens sur la définition même du monstrueux.  

Olivier Maulin, Petit Monarque et Catacombes, L'Esprit des Péninsules, novembre 2009, 282 pages, 21 euros
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