Drieu la Rochelle dans la Pléiade ? C'est bien de la satire d'une époque qu'il s'agit !

Doit-on oser tous les compromis pour un idéal ? Peut-on s’affranchir d’humanité par souci de nationalisme ? En deux mots, s’associer au Reich pour sauver la France ? Drieu le crut, en son for intérieur. Il voulait assigner à l’intellectuel le devoir d’essayer les chemins de l’Histoire. Un jeu dangereux. Il en connaissait tous les risques. Revigorer la nation avec l’aide des Allemands. Lutter contre le bolchevisme. Œuvrer à instaurer une France forte. Que d’idéaux mal inspirés. Et une faute est une faute. Le Rubicon fut franchi et, le 15 mars 1945, sous le coup d’un mandat d’amener, l’écrivain met fin à ses jours. Mais comme pour Céline, là encore, trancher dans le vif et mettre une étiquette est impossible. Il était sincère, dira Sarte ; il l’a prouvé. Si Drieu a succombé à l’antisémitisme, on lui doit néanmoins d’être intervenu pour sauver des vies, notamment celle de Jean Paulhan, en mai 1941.  On retiendra aussi les paroles de Malraux qui voyait en lui un "magnifique écrivain, un styliste de premier ordre." Pourtant les notes de lecture de ses premiers écrits passés sous les griffes des comités de La N.R.F. font état de lourdeurs qui irritent le lecteur (sic)... Alors. Pourquoi Drieu dans la Pléiade ?


Pour son charme. Parfaitement. Il y a un charme Drieu, tantôt évanescent, tantôt insistant. Mais toujours captivant ! D’autant qu’il est indéfinissable. Ether du style dans le style. Viennent s’ajouter les influences de la Grande Guerre, de l’impression de délitement de la société, du cynisme importé par Nietzsche (Dieu est mort !) et la critique de l’argent... Le roman de Drieu doit alors servir de catharsis. Et investir toutes les formes de narration. Tout en conservant un principe essentiel de construction de l’intrigue : c’est avant tout une manipulation. Il faut se servir d’autrui. Mais ce n’est pas une série de coups comme dans une partie d’échecs. Elle traduit un fait éthique. Par exemple le cynisme d’une société...


Comme Chateaubriand ou Maurras, Drieu est un écrivain antimoderne. Gilles résume sa vision en une phrase : "L’homme moderne est un affreux décadent." Hantée par l’idée de décadence, l’œuvre de Drieu est - à l’image de sa vie - dominée par la mort. Cette non-forme qui est le revers de l’art. Il n’aura alors de cesse de tenter de donner forme à l’informe. N’ayant aucunement peur de l’échec, Drieu ira vers la déception, cette œuvre d’art la plus réussie.


Le recours de Drieu à la diatribe n’est pas une simple fantaisie. Cela participe à la guerre qu’il mène. Elle est langage hurlé. Seul moyen de se faire entendre dans le fracas ambiant. Alors il la relaye dans la prose romanesque... Tantôt, le romancier s’exprimera comme un moraliste, tantôt il confiera à ses personnages secondaires le soin d’incarner des valeurs positives. Mais du point de vue de la santé, non de la vertu. L’influence de Nietzsche est encore prenante. 


Drieu est un romancier en colère. Il met en place un dispositif qui laisserait à penser qu’il tente d’accélérer la décomposition de la France décadente. De précipiter sa chute. La politique du pire ? Pour renaître sur des bases saines ?


Demeure, quoi qu’on en pense, une œuvre. Sur laquelle l’écrivain n’a jamais cessé d’osciller. Dans son Journal, sur la même page, Drieu se flagellait puis se célébrait (sic). Schizophrène Drieu ? Fou à lier ? Mauriac le plaçait parmi les ratés immortels. Formule sèche qui montre combien chez Drieu la beauté n’est jamais assise. Elle éructe, se dresse sur ses ergots, se replie sur elle-même, provoque le lecteur. Ce dernier découvrira alors l’une des plus fortes analyses romanesques du cynisme. La satire d’une époque qui pèse encore sur la nôtre. Et surtout une forme inédite de diatribe...


Voici donc une œuvre où l’esthétique et la politique fusionnent. Et son auteur ne saurait effacer le militant sans que l’un ne trahisse l’autre. Tel serait, d’une rare puissance, le charme quand même de Pierre Drieu la Rochelle.


Ce volume contient :
État civil / La Valise vide / Blèche /Adieu à Gonzague / Le Feu follet / La Comédie de Charleroi / Autour de La Comédie de Charleroi : Le Voyage des Dardanelles, VII /Rêveuse bourgeoisie
Autour de Rêveuse bourgeoisie : [Début de la version préoriginale]
Gilles / Autour de Gilles : [Trois chapitres retranchés], [Prière d’insérer de l’édition originale] / Mémoires de Dirk Raspe /Récit secret / Chronologie / Notices et notes / Bibliographie


Annabelle Hautecontre  


Pierre Drieu la Rochelle, Romans, récits, nouvelles, coll. "Bibliothèque de la Pléiade n°578", édition publiée sous la direction de Jean-François Louette avec la collaboration de Hélène Baty-Delalande, Julien Hervier, Nathalie Piégay-Gros, volume relié pleine peau sous coffret, Gallimard, avril 2012, 1936 pages, 65,50 € jusqu’au 31 août 2012, puis 72,50 €  


Lire également

> Frédéric Saenen, Interview - Jean-François Louette sur Drieu la Rochelle : « On peut être un salaud et en même temps un grand écrivain »

> Frédéric Saenen, Méritons-nous la réédition de Dieu la Rochelle à La Pléiade ?

> Arnault Destal, Drieu, témoignage inédit de Victoria Ocampo

 

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1 commentaire

anonymous

Je n'avais pas remarqué cette parution. Il faut toujours se réjouir quand un grand écrivain sort enfin du placard. Je vais me faire offrir ce livre pour Noël.