Sébastien Doubinsky : Babylone, cité maudite.

Deux soldats sont côte à côte, sous les bombes. Ils fument une "cigarette de marijuana". L'un deux évoque une belle journaliste qui est venue les filmer, sur le front : ses yeux étaient d'un bleu si... si... pur.
L'autre rétorque :
La mort est pure. Pure comme l'acier.

Le livre de Sébastien Doubinsky est comme ça : bref, subtil, percutant. Par fragments, de courts chapitres affublés chacun d'un titre étrange, il nous dépeint le monde contemporain. Le pinceau est large, les touches de couleur sont rapides et fortes, ce qui n'exclut pas l'humour :
Ah, mais j'allais oublier le vert, la couleur des plantes et des cimetières – et bien entendu ma préférée. Vert est votre reflet dans le miroir, ainsi que le fromage que vous avez oublié dans le frigidaire. Le vert est aussi la couleur de la fidélité conjugale et de l'enfance malheureuse. Il n'y a rien de plus beau qu'une aveugle aux yeux verts. Si vous voulez éviter la tricherie pendant une partie de cartes, portez du vert. C'est le symbole de la vérité finale et du dernier espoir, lorsque tout est perdu. Et tout est bien perdu, n'est-ce pas ?

En effet, non seulement nous sommes sans doute des êtres perdus, nous avons tout perdu, mais encore le roman (est-ce un roman ?) de Sébastien Doubinsky nous emmène, nous enlève, nous ravit, puis nous perd. À la fin de notre lecture, nous nous sentons un peu comme quand nous venons de lire deux livraisons de Courrier International d'un seul coup : gavés, désorientés. Non pas que le texte de Doubinsky ressemble à de l'étouffe-chrétien, loin de là : il est concis, rapide, vif. Il ne pèse pas. Mais à trop bien rendre compte de notre monde,du désarroi qui règne sur notre planète, il nous envahit. C'est Babylone.

(Le titre de la deuxième partie est : Taureau jaune. La troisième partie, Les Jardins de Babylone, fait s'alterner les fragments intitulés : "La poésie", puis "L'assassin". Les personnages se cognent, s'entrechoquent tels des verres à liqueur. La fin est gore.)
Babylone a construit sa forteresse au-dehors, mais aussi en nous, et nous ne le savions pas.

Sébastien Doubinsky est un écrivain ; c'est sans doute un des plus grands que nous ayons aujourd'hui (heureusement, lui ne le sait pas) car, tout en écrivant en trois langues - voir notre entretien avec lui -, et en ayant traduit son propre texte depuis l'anglais, il s'attaque au sujet le plus difficile : la diversité inquiétante du monde. Il mesure l'étendue des dégâts. Il arpente, il regarde, il photographie. Certes il se tient assez loin, en hauteur, et part parfois d'un rire homérique, mais aussi il s'équipe d'un zoom de belle qualité :
Il commanda un double whisky sans glace et se tourna vers le hublot, mais Babylone avait disparu entretemps, mangée par les épais nuages blancs qui roulaient sous l'avion, semblables aux morceaux de glace charriés par le Styx au printemps.

Un vieux morceau de rock des seventies, genre 'This is the end chanté par Jim Morrison résonne en nos oreilles puis doucement s'éteint.
On peut donc lire La Trilogie babylonienne, c'est même recommandé. Vingt pages par soirée. Ne pas dépasser la dose prescrite.

 

Bertrand du Chambon

 

Sébastien Doubinsky, La Trilogie babylonienne, éditions Joëlle Losfeld, octobre 2011, 208 p.-, 20 €

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