Marc Levy : la machine à écrire


Le « maître du romantisme moderne », selon la périphrase que lui accolent ses fans, a inondé la planète-livre de ses romans aussi sucrés que l’eau de rose dont il oint chacun de ses opus : 28 millions d’exemplaires vendus, tous titres et toutes collections confondus, des mois entiers à la tête des charts littéraires, un fan-club digne des meilleurs boys band américains. Ses éditeurs peuvent dormir sur leurs livres de comptes pendant que les libraires, malgré la situation alarmante de leur commerce, fêtent chaque année l’arrivée du « dernier Levy » comme on célèbre le Beaujolais nouveau dans les bouchons lyonnais.

 

Seuls à faire grise mine au milieu de ce concert de klaxons, les critiques de la presse littéraire, qui l’ignorent superbement, malgré le raz-de-marée populaire déclenché par ses fictions. Mais Marc Levy, ce n’est pas seulement des chiffres… c’est aussi des lettres : 14 romans en 13 ans, traduits dans 45 langues, trois adaptations cinématographique, une adaptation en bandes dessinées, des paroles de chansons… Radiographie d’un auteur qui divise le peuple et les élites, d’un tribun qui enchante les forums mais laisse indifférents les consuls de la République des lettres françaises.

 

Pour en finir avec l’image rebattue d’une littérature sur le déclin, les professeurs d’université ne se privent plus d’initier leurs étudiants aux auteurs actuels. De conférences en colloques, on retrouve souvent les mêmes noms : Pierre Michon, Pascal Quignard, Jean Echenoz, Richard Millet, Jean-Philippe Toussaint, Marie N’Diaye et Laurent Mauvignier… Pour autant, les noms qui fédèrent la critique universitaire ne sont pas ceux que l’on retrouve dans les palmarès des meilleures ventes où Marc Levy règne en maître tout-puissant. Enseigné au collège par des professeurs désemparés par le peu d’appétence que leurs élèves vouent à la lecture, ce n’est pourtant pas demain la veille que notre Dan Brown national quittera les manuels scolaires pour les pages des anthologies littéraires. Trop jeune pour être embaumé par le Lagarde et Michard (il est né en 1961), les exégètes de la littérature du XXe siècle boudent cet enfant du siècle. La littérature française au présent, de Dominique Viart et de Bruno Vercier ne cite pas une fois son nom en 512 pages ; Pierre Jourde, qui démasque les écrivains qui n’en sont pas, semble ne jamais avoir entendu parler de lui. Seul à lui rendre hommage peut-être, Jean-Joseph Julaud, le père de la Littérature pour les Nuls, l’évoque au « rayon best-sellers », tout à la fin de son ouvrage, à côté de Houellebecq, Beigbeder et Gavalda, les auteurs français qui ont « presque une chance sur trois de se trouver déjà derrière vous, là, sur l’étagère de votre bibliothèque ».

 

Comment se fait-il alors que celui qui offre, selon Julaud « mille bonheurs de lecture », dans une gare, dans un aéroport, au garage, sur la plage, passe à ce point inaperçu ? La réponse est dans la question… Parce que Marc Levy, c’est l’auteur dont on coince les livres entre la crème solaire et les mots fléchés dans le sac de plage, entre la roue de secours et le cric dans le coffre, entre Le Parisien et la barre chocolatée sur les quais. Et puis, accoler au nom de Marc Levy celui de « littérature », c’est prouver en un syntagme que l’antiphrase est encore de ce monde, à moins qu’on l’associe, en fin de phrase, au mot de « nul ». Celui qui a fait la fortune de son éditeur (Robert Laffont) autant que le Quid, celui qui a été l’auteur le plus vendu de la dernière année du XXe siècle n’ignore pourtant pas qu’il est snobé des salons littéraires. Et de s’étonner, dans Livres Hebdo du 3 juin 2003, le journal professionnel de l’édition, à la manière de l’Ingénu de Voltaire devant ce « french paradoxe » : « J’avoue que j’ai du mal à comprendre cette contradiction très française qui consiste d’un côté à se plaindre que les gens ne lisent plus, et de l’autre à mépriser toute personne qui fait entrer des milliers de personnes dans les librairies. Si je résume bien, il faudrait en même temps que tout le monde lise, mais que la littérature reste quelque chose de confidentiel. » Qu’importe ! Marc Levy compte aux quatre coins de l’hexagone des milliers de lecteurs acquis à sa cause, comme en témoignent les blogs et les forums  dédiés à son œuvre. Marc Levy, ou la preuve vivante (et barbue) que l’on peut ne pas faire partie du sérail et conquérir les foules.

 

Ses lecteurs ?

 

« Je n’ai aucun problème d’ego et je ne me considère pas comme un écrivain, ajoute-t-il dans le même entretien. Juste un auteur. Mais tout de même, je m’interroge. J’aimerais bien savoir pourquoi je suis la bête noire de certains… » Même s’il peine, pour illustrer son site officiel, à dégoter des critiques louangeuses autres que celles des radios « grand public » et des magazines féminins, Marc Levy se passe de « geishas littéraires » pour avoir l’assurance d’être lu. Il a son harem : les lecteurs de Marc Levy sont d’abord des lectrices. A priori, rien d’étonnant quand on saura que 70 % au moins des lecteurs de romans sont des lectrices. Mais à ce déterminisme génétique, Marc Levy ajoute le don particulier de les mettre en valeur, en toutes circonstances. C’est qu’il les aime les femmes, et pas seulement parce qu’elles lui assurent des rentes confortables et la promesse d’une retraite dorée. Ses héroïnes sont toutes « belles, belles, belles, comme le jour », engagées, volontaires, persévérantes, cultivées… angéliques, à l’image de Zofia, de Lauren, d’Audrey, de Clara. Et même si une Virginie Despentes pourrait se gausser de ces « romans d’hommes, qui n’imaginent que des femmes avec lesquelles ils voudraient coucher », il n’empêche qu’il les connaît les femmes, le Marc : sitôt invisibles, comme Gygès avec son anneau, n’en profitent-elles pas pour essayer toutes les robes haute couture de la ville ?

 

Pas étonnant alors que, doué d’une telle acuité psychologique, notre Shéhérazade en caleçon ait gagné également la sympathie de la gent masculine, qui, après s’être délecté du ELLE hebdomadaire posé sur le guéridon, s’empare du dernier Marc Levy de leur moitié, s’il n’est pas déjà prêté à belle-maman. Label de qualité, Marc Levy est en passe de réaliser ce que seuls les jeux de société avaient réussi avant lui : celui d’être lu de 7 à 77 ans. Michel Goujon, directeur du programme livres France Loisirs ne s’y ai pas trompé : « Marc Levy est pour nous un cas de figure excellent, explique-t-il dans le même numéro de Livres Hebdo, car il touche un vaste lectorat, transgénérationnel. Même les hommes le lisent, chez nous. Ce n’est pas un auteur segmentant. »

 

Easy reading pour certains, plan marketing pour d’autres, conteur des temps modernes pour ses aficionados, Marc Levy est d’abord celui qui est parvenu, d’un coup de stylo magique, à réconcilier le menu fretin avec les librairies, celles des centres-villes comme celles des supermarchés. Son coeur de cible ? Les réfractaires à la lecture, les addicts de la télévision, les déçus du prétendu « grantécrivain » encensé par le Monde des livres, les oubliés de la République des Lettres. Et le Dieu de Marc Levy sait à quel point ils sont légion ceux-là : selon les statistiques, un Français sur deux n’ouvrirait pas un livre de l’année, si l’on excepte l’annuaire et le programme télé. Ainsi, Marc Levy a gagné là où beaucoup de ses congénères, mêmes médiocres et dotés d’un QI d’huître, ont échoué : faire lire ceux qui détestaient, il y a six ans encore, cette activité réservée aux oisifs et aux intellectuels.

 

 

Ses trucs ?

 

Avant toute chose, trouver un titre accrocheur, énoncé sous la forme de l’interrogation (Où es-tu ?) ou suivi de points de suspension, histoire de plonger d’entrée le lecteur dans un suspense insoutenable (Et si c’était vrai…, Sept jours pour une éternité…). Sinon, plus simple encore, deux mots qui font tout aussi bien l’affaire, de ceux que l’on griffonne à la hâte sur un bristol joint à un bouquet de fleurs : Vous revoir, La prochaine fois. Effet garanti, recyclé depuis par d’autres écrivains, tout aussi plébiscités par le grand public, comme Guillaume Musso par exemple : Sauve-moi, Et après…, Seras-tu là ?

 

Ensuite, penser que le temps de son lecteur est compté, et que le temps c’est de l’argent. Lire du Marc Levy, ça ne doit pas être plus long que de préparer un coq au vin (marinade comprise), que de faire Paris-Marseille en TGV ou de peaufiner son bronzage pendant que le petit dernier fait un château de sable. Montre en main, et sans sauter de pages, trois heures environ.

 

En plus d’être facile à lire, ne pas omettre d’être bon comme du bon pain (accompagné d’un morceau de Vieux pané et d’un verre de Gamay). De la tendresse, de l’émotion, du mélo, du possible là où tout semble impossible, Marc Levy a fait de l’empathie le moteur de la planche à billets. La recette est digne des plus grands chefs du roman populaire : des thèmes de prédilection – l’amitié, l’enfance, la rencontre karmique, l’humanisme estampillé Mère Térésa – des scénarios à faire pâlir les meilleurs scénaristes du petit d’écran comme ceux d’Hollywood, de l’humour « cadres sup trentenaires », des figures de style à couper le souffle, des maximes dignes des plus grands moralistes du XVIIIe siècle…

 

En sus, ne pas oublier les personnages « reparaissants », en l’espèce de Pilguez et de Natalia, histoire de bien faire sentir au lecteur que le conte de fées a les moyens de devenir un thriller haletant à chaque page.

 

Enfin, ne pas lésiner sur les moyens, et ne pas laisser le lecteur, à bout de souffle, déplorer d’avoir déjà fini LE livre de l’année : à la fin de chaque ouvrage paru dans la collection de poche, une troisième de couverture qui incite à une consommation – sans modération – des autres Marc Levy déjà parus, déjà vendus, mais pas encore lus. 

 

Mes amis, mes amours…

 

Marc Levy est comme ses personnages : attachant et idéaliste. C’est Walt Disney dans sa tête. Les interviews qu’il accorde sont à l’image de ses livres : simples et sans prétention. Pas de citations pompeuses, pas de références littéraires hermétiques, Marc Levy parle avec le cœur. Bon père – il dédicace tous ses livres à son fils – plein de gratitude pour son papa et sa maman qui lui ont inculqué l’humilité, petit-fils inconsolable, Marc Levy, c’est aussi le gendre idéal, de celui qui aide les petites vieilles à traverser la rue. Au pays de Marc Levy, comme dans tous les pays, on s’amuse, on pleure, on rit, y a des méchants et des gentils…

 

Alors, manichéen Marc Levy ? Que nenni ! Le Mal se marierait volontiers avec le Bien, certaines mères abandonnent leurs filles pour leur garantir un avenir plus souriant aux States que sous les ouragans honduriens, tandis que d’autres, toutes pétries de sagesse qu’elles soient, trompent en pensées le père de leur enfant. C’est pas très joli tout ça… Quant à ceux qui déploreraient le manque de contenu de ses romans, en plus de l’absence de style, qu’ils se le disent : ils n’ont rien compris à Marc Levy. L’histoire de Lauren, fantôme de charme ? Ni plus ni moins qu’une métaphore, « une métaphore amoureuse », selon l’auteur qui s’est confié à Frédéric Vignale pour son Mague (www.lemague.net) : « Il faut voir au-delà des apparences, c’est une façon originale de raconter l’attirance des sentiments. Le thème, c’est l’amour qui rend aveugle les autres et rend voyant soi-même sur un seul autre. L’amour entre un homme et une femme est le plus beau chantier de la vie, le plus ambitieux. La réussite sentimentale est un vrai moteur et la seule chose qui fusionne dans la vie. » Enfin, Marc Levy sait aussi, à ses heures, sortir ses griffes et régler ses comptes, par personnages interposés : les critiques littéraires, les romans français, le droit de grève, les trente-cinq heures, l’agressivité des Parisiens sont épinglés subtilement, mais sûrement. Comme Vladimir Radskin, le peintre de La prochaine fois, Marc Levy s’efforce de « peindre l’espoir », il s’intéresse « à ce qu’il y a de vrai chez l’homme. Cela ne lui attire pas les faveurs de la critique ».

 

Alors, qu’est-ce qui fait courir Marc Levy ? Le buzz plutôt que la promotion, la proximité avec ses lecteurs, la modestie, l’évangélisme : « Moi je suis heureux d’être lu dans le métro, si je procure quelques heures d’évasions dans les moments de monotonie de la vie, cela me suffit à me donner un sens à mon travail. Tout cela n’est jamais qu’une question d’égo, et j’aime mieux l’humour à l’égo. »

 

Oyez, oyez, bonnes gens, le grand prêtre du romantisme moderne n’est pas prêt de voir son conte de fées tourner au vinaigre !

 

Eli Flory

Photo © Claudia Hehr

 

Marc Levy, Un sentiment plus fort que la peur, Robert Laffont, février 2013, 440 pages, 21 €

 

Lire la biographie de Marc Levy.

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4 commentaires

Loin des salons germanopratins, Marc Lévy, et son épigone Musso, et tous les autres, ne forcent personne à acheter leurs livres. Certes, ce n'est pas Proust et ils ne visent pas la postérité (espérons-le) mais alors ? Ils ont leur talent spécifique, celui de faire un gros livre par an et de plaire aux lectrices, c'est déjà pas si mal, quand beaucoup de ceux qui les snobent pissent difficilement des textes sans plus d'intérêt...

Au début du XXe siècle, la star des ménagères, c'était Henri Bordeaux, qui s'en souvient aujourd'hui ? signe que le temps va faire son oeuvre et qu'il faut laisser aux lectrices de notre temps le plaisir non méprisable de lire Lévy.

Oui, bien vu Pour Henri Bordeaux... sans oublier,  avant lui, l'auteur le plus vendu du XIXe siècle : l'incomparable Georges Ohnet, dont Anatole France disait "Eh bien, puisqu’il me faut juger monsieur Georges Ohnet comme auteur de romans, je dirai qu’il est, au point de vue de l’art, bien au dessous du pire"... 

Remontons encore un peu, et salons le Corneille qui remplissait des stades, Thomas, qui fut la vraie star de la famille, et non Pierre !

Messieurs, je vous ai lus, je ne suis pas surprise, ni conquise. Mais pourquoi nous infliger un article aussi long, rédigé en un style aussi vulgaire, ou les redites et les tournures en mauvais français le disputent aux néologismes approximatifs et autres propos imagés ? J'ai la chance de maîtriser la lecture en biais. Cet article parle de tout, sauf de l'oeuvre et de l'auteur : le lecteur reste sur sa faim... ce qui l'incitera peut-être à acheter le dernier roman de Marc Lévy, par curiosité !